Lexbase Hebdo édition professions n˚225 du 13 octobre 2016

N° Lexbase : N4699BWX

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 8 septembre 2016, deux arrêts, n˚ 16/09 339 (N° Lexbase : A7590RZ7) et n˚ 16/08 663 (N° Lexbase : A7514RZC)

Un avocat faisant l’objet d’un redressement judiciaire a fait l’objet de poursuites disciplinaires aboutissant à une sanction d’interdiction d’exercice temporaire d’exercice de la profession d’avocat. La tierce opposition formée par le mandataire judiciaire désigné à la procédure collective contre l’arrêt confirmant cette sanction est jugée irrecevable, faute d’intérêt à agir. La tierce opposition n’est pas une voie de recours aisée à engager. Ses conditions de recevabilité sont souvent rappelées, notamment en matière de procédure collective. S’agissant des décisions disciplinaires, deux arrêts importants rendus le 8 septembre 2016 par le Pôle 2, chambre 1 de la cour d’appel de Paris confirment la difficulté en la matière.

Dans les deux affaires, un avocat a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire et parallèlement d’une procédure disciplinaire ayant abouti à une sanction définitive d’interdiction d’exercice temporaire, outre la privation du droit de faire partie du conseil de l’Ordre, du Conseil national des barreaux et d’autres organismes professionnels.

L’exécution s’attache à ces décisions de confirmation de sanctions puisqu’elles émanent de la cour d’appel saisie par la voie du déféré contre les décisions du conseil de discipline en première instance. Le mandataire judiciaire désigné à la procédure collective de chacun des avocats concernés a formé tierce-opposition contre ces décisions d’interdiction temporaire d’exercice, ce qui pouvait se comprendre du fait du redressement judiciaire obtenu, lequel se retrouvait manifestement freiné, voire bloqué par l’absence de possibilité de maintenir une activité.

La cour d’appel de Paris jugea chacune des tierces oppositions formées irrecevable pour défaut d’intérêt à agir du mandataire judiciaire, avec, comme conséquence logique, l’irrecevabilité de la demande de suspension de l’exécution de la décision attaquée, s’agissant de la première affaire (la suspension n’était pas demandée dans l’autre).

La solution au regard de la seule notion d’intérêt à agir ne convainc pas. Elle semble plus s’apparenter à une demande de consécration d’une interdiction textuelle de la tierce opposition en la matière, faute de précision claire en l’état des textes en vigueur.

1 — Le régime de la tierce opposition

1.1. La tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l’attaque. Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu’elle critique pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit.

L’article 583, alinéa 1, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6740H7R) pose comme conditions essentielles l’intérêt de l’auteur du recours et la condition qu’il n’ait été ni partie, ni représenté au jugement qu’il attaque. L’alinéa 2 précise que les créanciers ou ayant cause d’une partie peuvent former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s’ils invoquent des moyens qui leur sont propres.

En l’espèce, le mandataire judiciaire, dans chacune des deux affaires, soutenait la recevabilité de son recours en avançant que son intérêt était établi, faisant notamment état de ce que les règles de procédure civile n’échappaient pas aux règles de la procédure disciplinaire, ce à quoi le ministère public répliqua que les conditions de l’article 583 n’étaient pas réunies et qu’il ne pouvait y avoir d’intérêt dès lors que le mandataire, qui ne peut représenter le débiteur que dans les affaires patrimoniales, n’avait aucun intérêt à agir contre une sanction personnelle.

Le premier arrêt (n˚ 16/09 339) excluait également toute fraude aux droits des créanciers de la procédure collective du fait de la spécificité de l’action disciplinaire.

1.2. La notion de l’intérêt revêt toute son importance. L’intérêt est souvent lié à l’existence d’un préjudice actuel et certain. Sans pour autant se confondre avec, pour ne pas parvenir à une restriction qui dénaturerait cette voie de recours, la jurisprudence admet depuis longtemps que celui qui demande la rétractation d’un jugement doit souffrir de la décision rendue à son insu (1).

L’intérêt résulte donc d’un préjudice né ou à venir, qu’il soit matériel ou moral. Les juges disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier l’existence de l’intérêt à agir de l’auteur d’une tierce opposition (2).

L’intérêt doit être distinct de l’une des parties ayant participé au procès. Il faut donc un intérêt à agir, distinct de celui de la partie ayant déjà agi, pour reprendre la formule de la Cour de cassation (3).

Cet intérêt doit être né du dispositif de la décision attaquée, non de ses motifs, même décisifs (4).

Dans les deux arrêts commentés, la cour d’appel de Paris a estimé, suivant en cela les moyens d’irrecevabilité de la tierce opposition soulevés tant par le Bâtonnier et le ministère public, que le mandataire judiciaire, auteur du recours n’avait pas d’intérêt à agir aux termes des dispositions spécifiques applicables à la procédure disciplinaire, rappelant que cette procédure conduit au prononcé de sanctions personnelles et non à des condamnations civiles en vue de la réparations de préjudices éventuellement causés par l’avocat poursuivi.

La cour précise que ces mêmes dispositions propres à la procédure disciplinaire ne peuvent être considérées comme une simple application de la règle de droit commun de la procédure civile (deuxième affaire).

Pour autant, le mandataire judiciaire n’avait-il pas un intérêt distinct de celui de l’avocat poursuivi, ne serait-ce parce que le redressement judiciaire dont il bénéficie ne pourra pas permettre aux créanciers de récupérer les fruits de ce redressement, faute d’activité possible durant plusieurs mois, et ne pourra donc pas réaliser d’actifs durant cette période ?

Les deux décisions sont critiquables en ce sens car le choix du défaut d’intérêt à agir ne paraît pas approprié eu égard à la notion même d’intérêt. L’autonomie d’une procédure ne justifie pas, à notre sens, à elle seule, un défaut d’intérêt. Elle peut, en revanche, justifier que les règles de procédure civile de droit commun soient écartées si les textes spécifiques le précisent.

2 — La particularité de l’action disciplinaire

2.1. Il n’est pas contestable que les articles 22 et suivants de la loi n˚ 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), modifiés par la loi n˚ 2004-130 du 11 février 2004 (N° Lexbase : L7957DNZ), constituent des dispositions autonomes, lesquelles ne peuvent conduire à des sanctions civiles réparatrices.

Le droit commun de la procédure civile en est-il pour autant exclu expressément ?

L’article 23 de la loi du 31 décembre 1971 donne la possibilité à l’avocat condamné par la formation de jugement disciplinaire de déférer la décision à la Cour. Le Bâtonnier, tout comme le ministère public, disposent également de ce recours.

L’article 585 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6742H7T) dispose que tout jugement est susceptible de tierce opposition si la loi n’en dispose pas autrement.

L’article 23 de la loi du 31 décembre 1971 ne dispose rien de tel et il convient de rappeler que l’article 277 du décret n˚ 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d’avocat (N° Lexbase : L8168AID) dispose qu’il est procédé « comme en matière civile pour tout ce qui n’est pas réglé par le présent décret ».

Peut-on considérer un arrêt rendu par la cour d’appel sur procédure de déféré comme un jugement au sens de l’article 585 précité ? Dans les deux espèces, ce débat n’a pas eu lieu devant la cour d’appel de Paris.

Le déféré se distingue de la procédure d’appel mais la décision rendue sur déféré s’apparente à un jugement rendu en dernier ressort.

Il convient de rappeler qu’au sens du Code de procédure civile, un arrêt est un jugement, terme générique, en l’occurrence rendu en dernier ressort, c’est-à-dire insusceptible de voie de recours ordinaire.

La nature de la décision attaquée dans les deux affaires commentées ne paraissait donc pas s’opposer à la tierce opposition.

2.2. Ce n’est que de façon très exceptionnelle que le législateur a restreint le droit de former tierce opposition.

Il l’a interdite ouvertement, totalement ou partiellement, dans plusieurs domaines, notamment contre le jugement d’adoption et le jugement homologuant le changement de régime matrimonial des époux.

Le législateur a pu également obtenir le même résultat en conférant aux énonciations du jugement l’autorité absolue de la chose jugée, ce qui interdit à toute personne de contester les faits retenus dans le jugement et les conséquences de droit qui en ont été tirées.

Tel n’est pas le cas dans le cadre de la procédure disciplinaire objet des décisions commentées, l’article 277 du décret du 27 novembre 1991 ne disposant rien de tel, pas plus que les articles 22 à 23 de la loi du 31 décembre 1971.

La notion de fraude aux créanciers n’a pas été retenue à juste titre car elle n’était pas démontrée. Les dispositions de l’article 583, alinéa 2, du Code de procédure civile ne pouvaient donc permettre au mandataire judiciaire de voir sa tierce opposition reçue.

Si la volonté fût de rendre purement autonome la procédure disciplinaire de l’avocat au point de lui refuser ce que les textes ne proscrivent pas, seule la notion d’intérêt dont l’appréciation est souveraine, pouvait amener à un tel résultat.

Le législateur y verra peut-être un appel du pied, éclairé par la position à venir de la Cour de cassation dans ces deux affaires, à supposer qu’elle en soit saisie…


(1) Cass. civ. 3, 17 mai 1977, n˚ 75-14.976 (N° Lexbase : A9839AGI), Bull. civ. III, n ˚ 215.

(2) Cass. com., 23 janvier 1996, n˚ 93-20.994 (N° Lexbase : A9118CYD).

(3) Cass. com., 12 novembre 2008, n˚ 07-19.298, F-D (N° Lexbase : A2384EBW).

(4) Cass. civ. 2, 30 avril 2009, n˚ 08-13.069, F-D (N° Lexbase : A7557EGY).