Lexbase Hebdo édition privée Edition n°773 du 21/02/2019

Réf. : Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n° 17-28.828 (N° Lexbase : A9748YUL )

Par un arrêt du 31 janvier 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé que les parties doivent se communiquer spontanément les pièces dont elles font état en temps utile, sans que cette communication puisse intervenir, en procédure orale, après les débats de l’affaire. Le juge, auquel il incombe de veiller au bon déroulement de l’instance et de faire observer le principe de la contradiction, dispose, en cas de réouverture des débats faute de communication de pièces, du pouvoir d’enjoindre cette communication et d’écarter des débats celles de ces pièces qui, sans motif légitime, n’ont pas été communiquées dans les délais qu’il a impartis.

Mme Z, a été victime d’une entorse du genou, alors élève dans un lycée, et fut prise en charge au titre de la législation en matière d’accident du travail. Le taux d’incapacité permanente partielle fut fixé à 10 %. Le recours amiable formé par l’étudiante devant la commission du rectorat de l’académie de Nacy-Metz fut rejeté. Elle saisit alors une juridiction de Sécurité sociale d’une demande tendant à voir reconnaître l’aggravation de son état de santé, puis a relevé appel du jugement qui, après avoir ordonné une expertise, l’a déboutée de son recours.

Mme Z interjeta appel de ce jugement mais la cour d’appel de Metz, dans son arrêt du 29 septembre 2017, écarta des débats les pièces qu’elle avait communiquées. Elle succomba donc en appel.

Mme Z régularisa un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt, excipant de l’oralité de la procédure pour justifier avoir communiqué des pièces lors de l’audience, lesquelles, selon elle, ne peuvent être rejetées que s’il est établi que la partie adverse n’a pas pu présenter utilement ses observations. Il convient de préciser que le conseiller chargé de l’instruction avait demandé à ce que cette communication soit antérieure à l’audience.

Sans surprise, le pourvoi fut rejeté, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, très attachée au respect du principe du contradictoire, motivant sa décision en ces termes : «Les parties doivent se communiquer spontanément les pièces dont elles font état en temps utile, sans que cette communication puisse intervenir, en procédure orale, après les débats de l’affaire. Le juge, auquel il incombe de veiller au bon déroulement de l’instance et de faire observer le principe de la contradiction, dispose, en cas de réouverture des débats faute de communication de pièces, du pouvoir d’enjoindre cette communication et d’écarter des débats celles de ces pièces qui, sans motif légitime, n’ont pas été communiquées dans les délais qu’il a impartis ;

qu’ayant relevé que, par un arrêt du 26 février 2016, elle avait ordonné la réouverture des débats à l’audience du 2 février 2017 en faisant injonction à l’appelante de transmettre ses pièces au rectorat de l’académie de Nancy-Metz avant le 20 juin 2017 et que Mme Z avait reconnu à l’audience du 23 juin 2017 ne pas avoir procédé à cette communication, c’est à bon droit que la cour d’appel, retenant que les difficultés financières invoquées par l’appelante ne justifiaient pas une exception au principe de la contradiction, a écarté des débats les pièces de l’appelante».

Force est de constater la clémence dont avait déjà fait preuve la cour d’appel en cours d’instance puisque l’appelante n’avait absolument rien communiqué à son contradicteur avant l’audience pas plus d’ailleurs que lors de cette même audience. Bien que sommée par la cour de communiquer ses pièces sur réouverture des débats à date précise, l’appelante n’en fit rien.

Le principe du contradictoire s’impose dans toute procédure, qu’elle soit écrite ou orale. Il s’agit du corollaire de la loyauté procédurale, malheureusement mise à mal dans les procédures orales, pour lesquelles on entend trop souvent les plaideurs clamer, lorsqu’ils communiquent leurs moyens et pièces le jour de l’audience, quelques minutes avant les plaidoiries, «je vous rappelle qu’il s’agit d’une procédure orale».

Cet arrêt est fort bienvenu pour rappeler que même si une partie n’est ni représentée ni assistée par un avocat dans le cadre d’une procédure orale, on ne peut se dispenser d’un minimum de loyauté procédurale et du respect du principe du contradictoire.

 

I – Laloyauté, gage de sécurité processuelle 

Les textes et jurisprudences, faisant expressément référence à la loyauté ou à la bonne foi dans les différentes branches du droit français, confirment l’existence d’un principe général en phase avec ce que le droit international privé a d’ores et déjà consacré.

Incrémentée au droit processuel, la loyauté s’y est amplement étendue. Ce droit ne pouvait d’ailleurs s’en dispenser.

La procédure apparaît en effet comme l’auxiliaire du droit substantiel, puisqu’elle contient les règles destinées à mettre en oeuvre la sanction des règles du droit ordinaire.

Le juriste allemand Ihering [ 1] écrivait «ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la soeur jumelle de la liberté».

La forme apporte effectivement la sécurité à celui qui s’y soumet et permet de garantir le respect de principes fondamentaux (droit d’accès au juge, droit de la défense, ne pas être jugé sans voir été entendu ou appelé, droit au recours, contradictoire…).

La procédure civile constitue une technique de garantie des droits fondamentaux : il s’agit d’une procéduralisation du droit traduisant un mouvement vers une démocratie procédurale [ 2] .

En cas de besoin, le droit judiciaire privé vient prêter main forte pour que la prescription du droit substantiel ne soit pas impunément bafouée.

L’un et l’autre devaient donc se réunir autour du principe de loyauté.

Le principe de la contradiction en est l’illustration puisqu’il est l’expression d’un principe plus large, un principe directeur de «loyauté des débats», pourtant non énoncé dans le Code de procédure civile, mais consacré par la Cour de cassation [ 3] , reprenant pour l’affrmer les termes de son article 16.

Le juge de la mise en état doit veiller au déroulement loyal de la procédure devant le tribunal de grande instance. L’article 763 du Code de procédure civile (N° L e x base : L 69 8 4H 7S) édicte expressément cette règle.

La loyauté doit être respectée dans la communication des pièces [ 4] .

Assise comme principe transversal de droit processuel, la loyauté suit le droit au contradictoire.

La question est en effet délicate lorsque la nécessité de ne pas entraver le principe général du droit au contradictoire ne doit pas en essoriller les initiatives et la flexibilité de l’action du plaideur. La limite se trouve dans la loyauté.

Ce principe essentiel des droits de la défense semble donc être lui-même protégé par la loyauté qui l’inspire.

Le nécessaire équilibre entre ces deux piliers de la procédure devait nécessairement amener la jurisprudence, faute pour le législateur de l’avoir clairement consacré, à construire un garde-fou qui n’est, ni plus ni moins, que la construction d’un régime procédural directeur de loyauté destiné à concilier l’effcacité du contradictoire et les principes de confiance et de cohérence indispensables à tout système juridique, notamment la procédure orale.

Sous ce prisme, le contradictoire ne peut connaître de dérogations que dans certains cas spécifiquement prévus par la loi.

 

II – La communication des pièces en temps utile

Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction (C. pr. civ., art. 16 N° L e x base : L 1133H 4Q ).

Ainsi, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les moyens de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense (C. pr. civ., art. 15 N° L e x base : L 1132H 4P).

C’est ce prix que la Cour de cassation rappelle dans son arrêt du 31 janvier 2019. Ainsi, c’est à bon droit que des dificultés financières ne justifient pas une exception au principe de la contradiction.

L’article 135 du Code de procédure civile ( N° L e x base : L 1477H 4H ) permet au juge d’écarter du débat les pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile.

Faut-il, dans un premier temps, entendre par temps utile, avant l’audience !

Ainsi, communiquer des pièces la veille ou le jour de l’ordonnance de clôture, en matière de procédure écrite, a été considéré comme tardif [ 5] .

L’appréciation du caractère tardif relève du pouvoir souverain des juges du fond [ 6] .

La procédure orale n’est pas une exception au respect de ces principes. La réforme de la procédure orale issue du décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale (N° L e x base : L 09 9 2IN3) favorise le respect du contradictoire.

Les parties peuvent, dans le cadre d’une procédure orale, par souci de sécurité, opter pour les échanges par écrit (C. pr. civ., art. 446-1 N° L e x base : L 1138 INH ). Le juge peut organiser les échanges entre les parties comparantes et fixer, après avoir recueilli leur avis, les délais et, si elles en sont d’accord, les conditions de communication de leurs prétentions, moyens et pièces (C. pr. civ., art. 446-2 N° L e x base : L 6754L EU ). Personne n’est évidemment à l‘abri d’un empêchement légitime mais il faut en justifier et il existe pour cela la procédure de réouverture des débats régie par les articles 444 (N° L e x base : L 1120INS) et suivants du Code de procédure civile. Il faut pour cela que le juge autorise la réouverture des débats et elle ne peut se dérouler par la simple volonté d’une partie qui, n’ayant pas communiqué contradictoirement avant et pendant l’audience, souhaiterait le faire une fois les débats clôturés.

Cette faculté du juge relève de son pouvoir discrétionnaire [ 7] . Le motif légitime trouve ici à s’appliquer et son appréciation est souveraine.

La Cour de cassation a, dans l’affaire commentée, estimé que la cour d’appel avait, à bon droit, rejeté l’argument des diffcultés financières comme motif légitime, l’appelante n’ayant rien communiqué avant, pendant et après l’audience, bien que sommée de le faire.

 

III – L’oralité n’est – elle pas dépassée ?

Les dispositions particulières aux procédures applicables devant les juridictions d’exception comportent une règle qui leur est commune et qui les distingue de la procédure applicable devant le tribunal de grande instance : il s’agit de l’oralité de la procédure. La volonté d’origine fut que les parties puissent accéder au juge par une procédure simple et peu onéreuse. On considérait que les litiges portés devant les juridictions d’exception étaient des affaires simples et présentant peu d’importance. Force est de constater que depuis plusieurs années, cette considération ne correspond plus du tout à la réalité. La complexité et l’importance des dossiers ne se retrouvent pas que devant le tribunal de grande instance, juridiction devant laquelle la procédure est écrite avec une mise en état organisée textuellement, cette mise en état étant elle-même assurée par une formation juridictionnelle spécifique : le juge de la mise en état. Une grande majorité des dossiers dévolus aux juridictions commerciales et sociales présentent indéniablement un enjeu important et appellent à l’examen de règles de droit substantiel complexes, sans oublier les règles de procédure, dont il ne faut pas négliger l’impact sur l’issue de l’instance (règles de comparution, de placement, délais, exceptions de procédure, fins de non-recevoir, etc.).

La procédure orale répond insuffisamment à la clarté que requiert le lien d’instance via la détermination des prétentions et des moyens présentés par les parties [ 8 ] .

Les moyens offerts par le Code de procédure civile en matière de procédure orale, pour répondre à cette sécurité juridique, ne sont plus efficients.

En effet, les plaideurs ne peuvent plus se contenter de la règle selon laquelle les prétentions des parties ou la référence qu’elles font aux prétentions qu’elles avaient formulées par écrit sont notées au dossier ou consignées dans un procès-verbal [ 9 ] . Le sort du procès dépendrait alors de la vigilance du greffier et du juge à noter les prétentions et les moyens qui ne font l’objet que d’un exposé oral.

Serait-ce réaliste et responsable, pour les praticiens qui connaissent la charge des rôles des audiences devant les juridictions concernées et la complexité de bon nombre des dossiers qui leur sont soumis, de prétendre à l’égard de leurs clients qu’il s’agirait là d’une sécurité efficiente ?

Le sérieux impose une réponse négative.

Il convient de souligner par ailleurs que la Cour de cassation fait peser sur chacune des parties la charge de prouver qu’elle a effectivement soumis au juge le contenu des prétentions et moyens dont elle se prévaut [ 10] .

L’oralité des débats est-elle compatible avec l’obligation, à peine d’irrecevabilité, de communiquer par la voie électronique les actes de procédure, l’évolution vers la formalisation des écritures et la politique de concentration des prétentions, des moyens et des délais que notre droit va connaître d’ici peu, et dont la portée a vocation à toucher l’ensemble des procédures ? [ 11] Assurément pas.

Les dérives de l’oralité des débats affectant le respect du principe du contradictoire, la loyauté des débats, le contrôle du juge, et l’exercice normal des voies de recours a conduit à ce que soit proposée la création d’une mise en état effective devant les juridictions du tribunal de commerce, du Conseil des prud’hommes, du tribunal d’Instance et des juridictions de sécurité sociale, à en lire l’arrêt commenté [ 12]

Le justiciable, l’avocat et le juge doivent travailler de concert. Le lien qui les lie se manifeste par l’écrit et la parole.

La généralisation de l’écrit dans les contentieux complexes est une voie d’optimisation de la loyauté procédurale et un moyen de mieux organiser le temps de l’instance par la fixation de calendriers.

C’est également un moyen permettant de faciliter la tâche du juge et, pour le justiciable, de mieux être entendu.

Ce n’est pas parce que certains pensent, à juste titre, que l’écrit simplifie, sécurise et renforce la loyauté processuelle, que la plaidoirie est condamnée par de telles pensées.

L’écrit va en renforcer la qualité et la pertinence de l’oralité.

L’exemple du règlement processuel devant le Tribunal de l’Union européenne [ 13] peut être cité par son effcacité : une phase écrite et une phase orale de la procédure sont strictement règlementées. L’audience de plaidoirie est régie en sa préparation puis son déroulement : quinze minutes de plaidoiries par avocat pour exposer les grandes lignes soutenues (position prise et moyens essentiels développés par écrit), puis échanges interactifs sur des points précis du dossier sujets à diffcultés. Les plaidoiries sont limitées aux prétentions et moyens contenus dans les écrits, sauf évènements survenus depuis la clôture de la phase écrite de la procédure et qui n’auraient pu, de ce fait, être exposés dans les contributions écrites.

Le lien humain que crée l’audience doit être maintenu et pour cela la plaidoirie demeurer mais ce lien sera d’autant plus fort que la loyauté l’aura présidé, ce que la phase écrite préalable tend manifestement à renforcer.

 


 

[ 1] Ihering, L’esprit du droit romain , 3ème éd. Paris, 1886-88.
[ 2] S. Guinchard, , Cécile Chénais, Frédérique Ferrand, Procédure civile -Droit interne et droit de l’Union européenne , 30ème édition, Dalloz, n° 67 et s.
[ 3] Cass. civ. 1, 7 juin 2005, n° 05-60.044, FS-P+B ( N° Lexbase : A 659 0DIW ; cf. l’Encyclopédie «Procédure civile», Le principe de loyauté N° Lexbase : E3155E4M), RTDCiv., 2006, p. 151, obs. R. Perrot.
[ 4] Cass. civ. 3, 6 juin 2007, n° 06-13.996, FS-P+B (N° Lexbase : A 558 4DWQ ), D., 2007, 242 ; Cass. civ. 3, 27 septembre 2006, n° 05-16.451, FS-P+B (N° Lexbase : A 3514DR L ), Procédures, janvier 2007, n° 16.
[ 5] Cf. notamment Cass. civ. 2, 2 février 1977, n° 75-13.910 (N° Lexbase : A 708 1CEY ), Bull. civ. II, n° 25 ;
[ 6] Cass. mixte, 3 février 2006, n° 04-30.592 ( N° L e x base : A 7240DM4 ; cf. l’Encyclopédie «Procédure civile» Une communication des pièces en temps utile N° L e x base : E68 9 2ETG)
[ 7] Cass. civ. 2. 14 octobre 1999, n° 96-21.701, P (N° Lexbase : A 4629 CHW).
[ 8 ] Le principe de sécurité juridique et les procédures orales, Procédures 2006, Etudes n°6
[ 9 ] C. pr. civ., art. 871 (tribunal de commerce) ( N° L e x base : L 7745IU E ) ; C. pr. civ., art. 882 ( N° Lexbase : L0873H44), pour le tribunal paritaire des baux ruraux par renvoi à l’article 843 du même code (N° Lexbase : L 118 3IN7).
[ 10] Cass. civ. 1, 22 octobre 1974, n° 73-12.402 (N° L e x base : A 6034CIC), Bull. civ. I, n° 273.
[ 11] Cf. notamment décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L 029 2IGW).
[ 12] Cf. notamment : Discours de Mr le Recteur Guinchard du 18 janvier 2008 ; Rapport Commission Magendie 2004 – Motion ACE – Commission Procédure Civile – Congrès national de Toulouse 5-6 novembre 2009.
[ 13] Règlement intérieur et de procédure T.U.E., Journal officiel de l’Union européenne, 18 juin 2015