40016 État généraux de la justice civile – Réflexion à partir du rapport Sauvé – Colloque du 15 septembre 2022

Table ronde 4 : État de la gestion des procédures

Si la justice bénéficie, depuis plusieurs années, d’évolutions destinées à améliorer la réponse apportée aux besoin du citoyen, justiciable, avec une augmentation de son budget et de nombreuses réformes, force est de constater que les délais de traitement des affaires civiles se détériorent et que le stock des dossiers en attente augmente.

Le rapport du groupe de travail sur la simplification de la justice civile remis au comité des États généraux de la justice le 1er février 2022 relève que le juge civil a assisté, depuis quelques années, à la transformation de son écosystème juridique avec des réformes importantes en matière procédurale et d’organisation judiciaire mais note que ces réformes, dont l’inadaptation de la temporalité des entrées en vigueur, a pu être critiquée, ne font pas l’objet d’un accompagnement systématique par les directions centrales si bien que les magistrats et les greffes mettent en œuvre des réformes dans la précipitation, en les découvrant. Que dire des justiciables et des avocats qui les assistent et/ou les représentent ?

1 – La croissance du contentieux civil et commercial s’est avérée supérieure à celle du contentieux pénal. Une analyse systémique et pragmatique d’ensemble est proposée par le groupe de travail sur la simplification de la justice civile, ce qui semble devoir être approuvé.

Avant de pouvoir exprimer des propositions techniques, pragmatiques sur des points de procédure civile essentiels, telle la structuration des écritures et la reconstruction du procès civil (césure, refonte de la mise en état, audience des plaidoiries…), il apparaît, en amont, une nécessité essentielle : la mise en place de référentiels explicites pour allouer les ressources.

Dans le cadre d’une analyse plus générale sur les principaux défis auxquels les décideurs publics vont se trouver confrontés dans les années à venir, la Cour des comptes a publié en octobre 2021 une note destinées à améliorer la gestion du service public de la justice. Cette note a été délibérée par la 4e chambre et approuvée par le comité du rapport public et des programmes de la Cour des comptes1.

Elle part du constat que malgré une augmentation de son budget de 22 % entre 2011 et 2021 (crédits votés en loi de finances initiales), et malgré une série de réformes destinées à alléger le travail du juge, le délai de traitement des affaires civiles s’est accru pour atteindre entre 14 et 18 mois selon les juridictions, et le stock des affaires civiles atteignaient, fin 2019, 1,8 million.

Parmi les 3 propositions visant à améliorer la gestion du service public de la justice, figure une recommandation qui nous semble essentielle : affecter les ressources en fonction de constats raisonnés.

Les tribunaux doivent être équipés d’outils logiciels efficaces permettant au plan national d’allouer les moyens à partir de critères explicites. Des systèmes existent déjà dans d’autres pays européens notamment des référentiels élaborés par le service des affaires européennes et internationales de la Commission européenne (SAEI). Il est urgent que ces référentiels soient mis en place sur le plan national.

Le manque de moyens dénoncé depuis longtemps est aujourd’hui partagé par les avocats et les magistrats, publiquement.

 

2 – Pour seule réponse : la prolifération depuis plusieurs dizaines d’années de réformes processuelles, prises pour certaines à la hâte au mépris de la sécurité juridique, et l’avancée des recours aux modes alternatifs des différends, certes très importants, mais dont la finalité semble plus être liée à une politique de gestion de flux qu’à une réelle volonté de sensibilisation à leurs bienfaits…

Dans sa décision du 22 septembre 2022, le Conseil d’État2, saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre les dispositions du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 par le Conseil national des barreaux et plusieurs instances3, incite très clairement l’État à respecter la sécurité juridique en annulant certaines dispositions du décret précité : « … Toutefois, il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s’imposent à elle, d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, cette réglementation nouvelle. Il en va ainsi lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. Ces mesures transitoires peuvent résider dans le report de l’entrée en vigueur de cette réglementation nouvelle. »

̶ «  …il incombait au pouvoir réglementaire, pour des motifs de sécurité juridique, de leur permettre de disposer d’un délai raisonnable pour être à même de se conformer à ces dispositions nouvelles4Par suite, en ne prévoyant pas le report, de trois mois au moins, de l’entrée en vigueur des dispositions qui n’étaient pas directement nécessaires par l’instauration des tribunaux judiciaires au 1er janvier 2020 en vertu du XXIII de l’article 109 de la loi du 23 mars 2019 précitée, le pouvoir réglementaire a méconnu le principe de sécurité juridique5. »

Ont ainsi été annulées les dispositions suivantes : – l’article 750-1 du Code de procédure civile (médiation préalable obligatoire pour certains litiges, dans sa rédaction issue de l’article 4 du décret attaqué) ; les articles 901 et 933 du Code de procédure civile (procédure d’appel avec représentation obligatoire) dans leur rédaction issue de son article 29, en tant qu’ils renvoient à l’ensemble des mentions prévues à l’article 57 du même code sans exclure l’indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée ; le I de l’article 55 du décret attaqué ; le II du même article 55 en tant qu’il ne mentionne pas les articles 760 à 768 du Code de procédure civile, dans leur rédaction issue de son article 4, parmi les dispositions faisant l’objet d’une application aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020.

Le message aux pouvoirs publics paraît clair.

 

3 – La résolution des problèmes de qualité et de lenteur du procès civil ne peut résulter que de la modification des seules règles de procédure.

Le rapport de l’Inspection générale des services de la justice a remis sur la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel dément cette politique qui n’a que trop duré inutilement au détriment du justiciable.

L’exemple des réformes de la procédure devant la cour d’appel est patent : « … le délai moyen du traitement des affaires en cour d’appel n’a cessé de croître au cours de la période 2009-2018[14,9 mois en 2018] … les réformes procédurales ne peuvent être conçues comme une variable d’ajustement pour absorber le flux des demandes et renforcer l’efficience des juridictions ».

 

4 – Rebondir en première instance comme en appel sur la concentration des moyens, la limitation des échanges, la structuration drastique des écritures, la dématérialisation des petits et moyens litiges et le recours aux MARD obligatoires, n’apportera rien de positif, bien au contraire.

Nous ne pouvons par conséquent que partager le rapport du groupe de travail sur la simplification de la justice civile lorsqu’il écrit : « C’est à la qualité d’une véritable offre de justice plurielle que les moyens de la justice doivent désormais être dédiés. Cette politique doit être guidée par l’exigence de qualité et par un certain nombre de principes émergents du procès civil contemporain : principe de coopération loyale des acteurs du procès, principe de proportionnalité procédurale6 [recherche de moyens procéduraux adaptés aux grandes catégories de litiges mais aussi aux spécificités propres à chaque affaire]. »7

 

  1. Limitation des échanges, structuration des écritures et le corollaire de la concentration

 

5 – Limiter et structurer à outrance reviennent à poursuivre une politique de concentration qui n’est pas souhaitable dans l’intérêt du justiciable et des valeurs du procès civil mises en avant par le rapport.

 

  1. – Concentration

 

6 – Le principe de concentration des moyens ne va en rien faciliter la qualité et la durée du procès civil, sauf à rallonger les délais de procédure en multipliant les incidents processuels, créateurs de contentieux supplémentaires susceptibles de voies de recours sans que le fond ne soit abordé.

 

7 – Ce principe méconnaît par ailleurs la réalité du procès civil qui est nécessairement évolutif, notamment au regard des éléments découverts en cours de mesures d’instruction et des faits non connus au moment de l’introduction de l’instance.

 

8 – Lorsque la concentration est censée déterminer le litige, elle installe nécessairement un déséquilibre dans les rôles du juge et des parties en faisant peser sur ces dernières une tâche substantielle, ce qui induit une inégalité entre les justiciables devant la loi, tout en atténuant l’office du juge, censé dire le droit.

Si l’obligation de relever d’office pour le juge pose difficulté, notamment au regard de l’objet du litige que seules les parties doivent déterminer, il est envisageable d’ajouter à la faculté du juge de donner ou restituer l’exacte qualification des faits et actes litigieux, une obligation de solliciter un débat sur les moyens de droits applicables si aucun ne paraît fondé parmi ceux proposés par les parties, ce dans le cadre de l’instruction du dossier.

Une telle proposition aurait été appréciée dans le rapport remis par le groupe de travail même si on peut la déceler indirectement dans la proposition qui tend à revoir l’office du juge.

Cela suppose une instruction efficiente de l’affaire, non une instruction purement administrative.

Rappelons que cette interpellation du juge est possible dans notre droit puisque le juge peut inviter les parties à fournir des explications de droit (CPC, art. 13, 442 et s. et 782).

 

  1. – La limitation des échanges

 

9 – Une telle option n’aurait aucune incidence sur le volume des affaires et les délais excessifs entre la fin de l’instruction, la date d’audience et le délibéré. Il est patent qu’en appel, alors que les parties sont contraintes par des délais très stricts de procédure pour conclure, des mois s’écoulent laissant en attente la procédure jusqu’à la clôture et la fixation de l’audience du fait du manque de moyens récurrents.

Il n’est malheureusement plus rare de lire en première instance ou en appel, sous l’ordonnance de clôture de l’instruction, une date de fixation de l’audience des plaidoiries à plus d’un an !

A quoi bon limiter les échanges puisque lorsqu’il n’y en a plus, de tels délais inacceptables pour le justiciable et les protagonistes du procès civil ont cours ?

 

10 – Une telle limitation méconnaîtrait, par ailleurs, le particularisme des dossiers. Un travail d’identification des dossiers en amont doit être effectué. La question se pose notamment pour les dossiers longs et complexes.

Il est à cet égard significatif de relever que certaines chambres spécialisées (marques et brevets notamment) ne se plaignent nullement de conclusions qui peuvent souvent excéder 50 pages, parce qu’elles savent parfaitement que cette longueur est nécessaire à la bonne compréhension des litiges complexes qui leur sont soumis.

Des contentieux de marchés informatiques, de concurrences ou autres domaines très pointus impliquent des opérations d’expertise et des moyens de faits techniques dont les parties ne peuvent faire l’économie dans leurs écritures, sauf à mettre en péril le soutien de leurs prétentions.

 

  1. – La structuration des écritures

 

11 – La généralisation de l’écrit, sans supprimer le rôle très important de l’audience et de l’oralité des débats qui s’y tiennent, apporte plus de sécurité juridique, permet d’avantage le respect du principe du contradictoire et de loyauté.

Un encadrement des écritures par une structuration appropriée favorise la lisibilité des prétentions et facilite la compréhension des enjeux. Est-il pour autant nécessaire d’aller au-delà de ce qui est déjà prévu par les textes en vigueur et de ce qui se pratique ?

 

12 – Pour cela, la direction des affaires civiles et du Sceau a proposé il y a quelques mois 1) d’imposer la rédaction d’une synthèse des moyens à la fin de la discussion, 2) de préciser que cette synthèse ne pourrait excéder 10 % des écritures dans la limite de 1 000 mots, et 3) de préciser que les moyens devraient être récapitulés dans l’ordre des prétentions et sous la forme d’une liste numérotée comprenant des pièces afférentes. La profession d’avocat s’est prononcée contre, sans la moindre ambiguïté.

L’exigence d’une présentation des prétentions et des moyens dans l’ordre de leur soutien avec à l’appui de l’indication des pièces justificatives et de leur numérotation suffit, sans qu’il soit besoin d’y ajouter une synthèse avant le dispositif limité à un nombre de caractères.

Chaque dossier ne pose pas la même complexité en termes de faits et de droits. La structuration des conclusions est une bonne chose mais il n’est pas raisonnable de restreindre la synthèse à x % des écritures dans la limite de y d’un certain nombre de mots.

Il suffit de penser aux dossiers complexes de droit international privé, de droit de la concurrence, de droit boursier, de droit informatique, de propriété industrielle, sujets qui sont fréquemment en amont soumis à des mesures d’expertise très longues. Des moyens peuvent comporter des sous moyens, nécessaires à la compréhension et à la justification du moyen principal, telles les branches au soutien d’un moyen soutenu en cassation.

Le résumé dans de pareilles limites serait périlleux et particulièrement succinct avec le danger que les juge du fond ne s’estimeraient pas saisis de l’ensemble des moyens soutenus dans la partie « discussion ». Une difficulté serait également liée à la faculté laissée au juge par l’article 12 du Code de procédure civile (requalification).

 

 

« Une « caporalisation » procédurale pourrait inciter à choisir l’oral et écarter l’écrit. » 

 

13 – Enfin, dans le cadre des procédures orales, n’oublions pas que l’option est laissée aux parties par l’article 446-1 du CPC entre l’oral et l’écrit. Si la voie écrite est choisie, les dispositions de l’article 446-2 du CPC sont suffisamment contraignantes.

En rajouter ne paraît pas nécessaire d’autant qu’en pratique, un plan annonce la structure des écritures (lorsque le dossier est volumineux), les moyens sont numérotés et présentés sous les prétentions en aval du dispositif.

Une « caporalisation » procédurale pourrait inciter à choisir l’oral et écarter l’écrit : tous les effets du bénéfice de l’écrit seraient alors anéantis et nous pourrions souhaiter bon courage aux greffiers qui seraient ainsi tenus de noter au dossier ou de consigner dans un procès-verbal les observations des parties parce que ces dernières refuseraient une structuration trop contraignante des écritures.

 

14 – Proposer que le tribunal n’examine que les moyens développés dans la discussion et mentionnés dans la synthèse ne se justifie pas au regard de ce qui précède. Proposer que le tribunal ne soit « valablement saisi que des moyens développés dans la discussion et récapitulés dans la synthèse » n’est pas plus opportun.

Cette solution est une sanction plus drastique que toute autre car en cas de non-respect de ce formalisme très rigoureux, le tribunal ne serait pas saisi, il n’existerait aucune voie de recours et aucune interruption ni suspension des délais de prescription ou de forclusion applicables ne pourrait avoir lieu.

Pour le justiciable cela pourrait avoir des effets extrêmement néfastes lorsqu’on sait par ailleurs qu’ « il incombe au demandeur de présenter, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci »8.

 

15 – À notre sens, les textes en vigueur suffisent et pour cela nous rappelons les dispositions en la matière qui encadrent suffisamment les écritures : articles 446-2, 768 et 954 du Code de procédure civile. La réflexion doit avoir lieu en fonction des constats raisonnés et d’une identification claire des différents litiges en présence devant nos juridictions. La publication du rapport concernant l’identification et la gestion des contentieux longs et complexes est attendue.

 

16 – Une avancée des écritures grâce aux progrès numériques pourrait constituer une aide sérieuse, notamment en permettant une modernisation et une adaptation des procédures aux besoins des acteurs et des contentieux : échanges sécurisés interactifs, accès immédiat à l’information, souplesse, création d’un lieu de stockage des documents avec un accès à des écritures harmonisées comprenant des liens hypertextes vers les pièces produites, autant de suggestions qui nous paraissent positives mais qui exigent « que soit franchi un véritable saut numérique »9.

 

 

  1. Césure, mise en état – audience

 

  1. – La césure serait-elle une solution efficace ?

 

17 – Il s’agit, selon ce mécanisme, de faire trancher par le juge le point central du litige et de le séparer des conséquences restant à juger. Quels moyens pour ce faire ?

 

18 – La disjonction d’instances qui peut être soulevée d’office par le juge et insusceptible de recours puisqu’il s’agit d’une mesure d’administration judiciaire (CPC, art. 367) pose problème, non seulement au regard du principe du dispositif (les parties ont l’initiative du procès et en déterminent le contenu), mais également au regard de la délimitation même de l’objet du litige.

La jurisprudence estime que le dispositif des conclusions doit éviter de contenir des formules telles que « dire et juger », « constater », « dire que », ou « donner acte », lesquelles, en réalité, soutiennent (en tant que moyens) les vraies demandes (prétentions) dont les juridictions sont uniquement saisies.

Le principe est clairement posé par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 janvier 202010 : « Attendu que pour déclarer l’appel irrecevable, l’arrêt retient qu’il résulte de l’examen du dispositif des conclusions de Mme X qu’il comporte des demandes de « constater », « dire et juger », voire « supprimer », qui ne constituent pas des prétentions mais des rappels de moyens, qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations qu’elles n’était pas saisie par l’appelante d’aucune prétention, la cour d’appel, qui ne pouvait que confirmer le jugement, a violé le texte susvisé. »

Comment en effet disjoindre une instance dont l’acte introductif ne contiendrait que des prétentions de condamnations indemnitaires, la responsabilité n’étant en réalité que la démonstration au travers de moyens pour asseoir la demande figurant dans le dispositif ?

Disjoindre pour trancher la responsabilité en amont ne respecterait pas le dispositif de l’acte introductif ou celui des conclusions récapitulatives ne contenant que des demandes de condamnations indemnitaires.

La césure par la disjonction paraît assez périlleuse d’un point de vue processuel. Elle ne garantirait pas, par ailleurs, une issue amiable dans l’autre instance. Quid des voies de recours contre la première décision ? Le gain de temps qui résulterait d’un tel procédé n’est pas démontré.

 

19 – Une césure via un jugement tranchant une partie du principal et renvoyant les parties à rencontrer un médiateur pour le reste se heurterait à un problème de qualification : il ne s’agirait ni d’un jugement avant dire droit ni d’un jugement mixte au sens de l’article 544 du Code de procédure civile. Là encore, se poserait la difficulté de la voie de recours et le gain de temps ne semble pas garanti.

 

20 – Resterait le séquençage de l’instruction : évacuer les points importants de nature à permettre au juge de trancher dans un second temps les prétentions. Il s’agirait alors d’une mise en état intellectuelle très organisée nécessitant le concours loyal de tous les protagonistes.

La difficulté est que la mise en état ne dispose pas assez de moyens pour être de la sorte.

La réforme louable des fins de non-recevoir tendant à les intégrer dans le champ des compétences exclusives, dès lors qu’il est saisi, du juge de la mise en état, pour vider le litige de tous ses obstacles processuels, à l’aune des exceptions de procédure, s’est en réalité heurté à une inefficacité due à la surcharge des juridictions de mise en état, dépourvues de moyens suffisants.

 

  1. – La mise en état-audience

 

21 – La mise en état telle qu’elle est pratiquée actuellement ne peut aboutir à la proportionnalité souhaitée ainsi qu’à un traitement adapté aux complexité et enjeux de l’affaire. Un dialogue efficient et utile doit avoir lieu. Il en résultera une audience des plaidoiries de meilleure qualité.

La mise en état des affaires soumises à la procédure écrite en matière civile est désormais dématérialisée. Cette mise en état vise à instruire les dossiers sous le contrôle d’un magistrat de la chambre saisie, en veillant au déroulement loyal de la procédure, jusqu’à l’ordonnance de clôture (CPC, art. 780 et s.).

L’audience d’orientation n’est pas un réel succès. En cela nous partageons le rapport du groupe de travail. Une première audience de procédure devrait permettre de vérifier que le placement et la constitution du défendeur ont bien été régularisés. Une autre audience, en présentiel, proche de la première pour éviter une perte de temps inutile dans le déroulement du procès, permettrait de sensibiliser les parties aux MARD, de cerner les éventuelles exceptions de procédure et fins de non-recevoir, le calendrier en fonction des prétentions et problèmes de droit posés, avec une acceptation de part et d’autre, ce qui pourrait même souligner la mise en place d’une procédure participative de mise en état… La loyauté doit être au centre, dans un souci d’efficience.

 

22 – L’augmentation des effectifs des juges civils est par conséquent nécessaire, quitte à envisager la création d’équipes autour du magistrat, s’agissant des dossiers complexes.

La mise en état ne doit plus être une simple fixation de calendrier. Les parties, via leurs avocats respectifs, doivent être en mesure de « formuler leurs observations dès le début de la mise en état afin de déterminer une gestion adaptée au litige ». Une telle mise en état intellectuelle permettra d’organiser l’audience des plaidoiries.

 

23 – L’ACE est favorable à une mise en état systématique, y compris pour les procédures orales. Cela faciliterait la sélection des affaires venant à l’audience. Mais cela suppose des échanges plus fluides entre avocats et magistrats. Cette solution est-elle envisageable quand il n’y a pas de représentation par avocat ? Ce serait en effet plus compliqué à mettre en œuvre sinon à organiser.

Des pistes peuvent être envisagées : peut-être un échelon supplémentaire permettant un échange avec le justiciable par courriel et à faire préparer le dossier par des assistants de justice, par exemple. Cette pratique a cours dans d’autre pays, notamment en Allemagne.

À ce jour, la plupart du temps, ni le justiciable ni son conseil ne savent comment ladite audience va se dérouler en termes d’ordre de passage, d’organisation des temps de parole, d’éventuelles auditions ou des questions que les magistrats pourraient souhaiter poser.

Les magistrats eux-mêmes déplorent certaines audiences où les dossiers sont renvoyés, perturbant l’audiencement.

La méconnaissance dans laquelle se trouvent les avocats concernant le déroulé des audiences est sources d’incompréhension grave pour les justiciables, incompréhension renforcée lorsqu’il s’avère que le tribunal « découvre » l’affaire plaidée, au-delà du résumé du juge-rapporteur, le jour de l’audience…

 

24 – Nous pensons, en complément des propositions contenues dans le rapport du groupe de travail, qu’il serait opportun de réviser le rapport lu en audience. La condition du succès d’une audience passe nécessairement par la connaissance en amont :

  • par le juge, des moyens de fait et de droit, invoqués par les parties ;
  • par les avocats, de la compréhension par le juge des moyens qu’ils ont invoqués.

 

25 – Le Conseil national des barreaux a émis des propositions qu’il convient de rappeler, lors de l’assemblée générale du 13 novembre 2020, via la commission texte dont les résolutions issues de son rapport ont été adoptées à l’unanimité11.

Ainsi pour permettre la tenue d’une audience utile lorsque la représentation est obligatoire, écrite et qu’elle nécessite une mise en état préalable, deux propositions ont été formulées par le groupe de travail :

  • le juge établit un rapport écrit communiqué aux avocats constitués au plus tard 15 jours avant l’audience ;
  • les avocats déposent leur dossier de plaidoirie, au plus tard 8 jours après la notification de la clôture.

 

26 – À cette fin, l’article 804 du Code de procédure civile, actuellement rédigé ainsi :

« Le juge de la mise en état fait un rapport oral à l’audience avant les plaidoiries. Exceptionnellement le rapport peut être fait par le Président de la chambre ou un magistrat qu’il désigne. Le rapport expose l’objet de la demande et les moyens des parties. Il précise les questions de fait et de droit, soulevées par le litige et fait mention des éléments propres à éclairer le débat, sans faire connaître l’avis du magistrat qui en est l’auteur »,

pourrait être amendé comme suit :

« Le juge de la mise en état fait un rapport écrit communiqué aux avocats au plus tard quinze jours avant l’audience. À cette fin, les avocats constitués déposent au Tribunal, au plus tard 8 jours après la date à laquelle l’ordonnance de clôture leur a été notifiée, les copies des pièces visées dans les conclusions et numérotées dans l’ordre du bordereau récapitulatif. Le rapport peut également être fait par le Président de la chambre ou un magistrat qu’il désigne. Le rapport expose l’objet de la demande et les moyens des parties. Il précise les questions de fait et de droit, soulevées par le litige et fait mention des éléments propres à éclairer le débat, sans faire connaître l’avis du magistrat qui en est l’auteur. Le rapport s’achève éventuellement par la détermination des prétentions, des moyens de fait et de droit, développés par les parties dans leurs écritures sur lesquels le Magistrat souhaite que les plaidoiries portent en particulier, sans préjudice des explications que les parties souhaitent apporter ».

Cette modification imposerait aux avocats de communiquer l’ensemble des pièces en même temps que les écritures, ce qui permettrait une meilleure prise de connaissance du dossier par les magistrats en amont de l’audience.

La communication du rapport dans un délai contraint avant l’audience permettrait aux avocats :

  • de comprendre les questions des magistrats et de préparer une plaidoirie ciblée ;
  • de prévoir leur temps d’intervention ;
  • d’indiquer, le cas échéant, aux magistrats qu’ils n’entendent pas plaider.

Ce résultat serait le fruit d’une mise en état intellectuelle aboutie. Les magistrats seraient en mesure d’organiser leurs audiences de manière plus constructive avec des convocations à horaires déterminés. Il en résulterait des échanges interactifs lors de l’audience avec des plaidoiries point par point.

 

27 – L’ACE suggère, à cet effet, d’instaurer après l’ordonnance de clôture une réunion préparatoire de l’audience entre les avocats des parties et le président de la chambre qui pourrait se tenir en visio-conférence, et dont le but serait d’organiser l’audience, de faire connaître à la chambre les temps de parole prévisibles, d’avoir éventuellement une indication sur les points de droit que la chambre souhaiterait voir abordés plus particulièrement.

 

28 – Enfin, ce point n’a pas été évoqué expressément dans le rapport du groupe de travail sur la simplification de la justice civile, il convient de réduire les délais excessifs entre la fin de l’instruction et la date d’audience et de délibéré.

De même, nous estimons qu’il convient de limiter les prorogations des délibérés (première instance et appel) et assortir chacune d’elles d’une demande préalable motivée adressée au président de la juridiction concernée qui l’acceptera ou la refusera.

Il pourrait être envisagé, par exemple, de limiter les prorogations à 3 maximum, et d’assortir chacune d’elles d’un délai décroissant : 1re prorogation – 1 mois, deuxième – 21 jours, troisième – 1 semaine.

« Peu d’espoir est permis à celui qui est trop paresseux pour se faire des ennemis. » Emile Zola

 

 

1 https://www.ccomptes.fr/fr/publications/ameliorer-la-gestion-du-service-public-de-la-justice

 

2 CE, sect., 22 sept. 2022, n°436939 et 437002. CNB et a. [Excès de pouvoir D. n° 2019-1333, 11 déc. 2019] : JCP G 2022. Aperçu rapide S. Amnani-Mekki à paraître.

 

3 Ordre des avocats du barreau de Paris, Conférence des bâtonniers, associations et syndicats, dont l’ACE, Avocats Ensemble, la FNUJA, la CNA.

 

4 Souligné par l’auteur.

 

5 Souligné par l’auteur.

 

6 Souligné par nous.

 

7 Rapport du comité des États généraux de la justice, Rendre justice aux citoyens, avr. 2022, ann. 12, p. 63.

 

8 Cass. ass. Plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, P+B+R+1, Gilbert Césaréo c/ René Césaréo : JurisData n° 2006-034519 ; JCP G 2007, II, 10070, note G. Wiederkehr : Procédures 2006, comm. 201. note Perrot.

 

9 Rapp. du comité des États généraux de la justice. Rendre justice aux citoyens. avr. 2022, ann. 12, p. 80.

 

10 Cour de cassation – Deuxième chambre civile, 9 janvier 2020 / n° 18-18.778

 

11 CNB. AG. Rapp. Commission textes, Avenir de l’audience, 13 nov. 2020.