À l’heure d’une volonté affirmée de simplification, de célérité et de qualité de la justice, tant en première instance (1) que devant la Cour d’appel (3), il n’est pas certain que le contentieux lié aux exceptions de procédure puisse aboutir à la rigueur tant attendue des rédacteurs d’actes de procédure.

« Il ne suffit pas d’être en mesure d’assurer aux usagers du service de la justice un meilleur accès au droit. Il importe, dans le même temps, d’assurer une efficacité renforcée des procédures… » (4).

Les exceptions de procédure, dans le cadre de la procédure applicable devant le tribunal de grande instance, sont de la compétence exclusive du juge de la mise en état postérieurement à sa désignation jusqu’à son dessaisissement (article 771 du Code de procédure civile), et, devant la Cour d’appel, de celle du conseiller de la mise en état (article 910, alinéa 1er dudit Code), également compétent pour déclarer l’appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l’appel (article 911 du même Code).

La purge des problèmes de procédure peut être espérée à ces stades de l’instance, permettant ainsi, d’une part, à la formation de fond de ne connaître que des questions de fait et de droit ayant trait au « pur » objet du litige, et d’autre part, aux plaideurs, de faire trancher leur différent en l’absence de tout vice susceptible, in fine, de mettre en péril de manière définitive leur droits (5).

La Cour de cassation, se réunissant en chambre mixte, a mis un frein sécurisant à la prolifération des moyens de nullités soulevés à l’encontre des actes de procédure en précisant que « quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seuls affectent la validité d’un acte de procédure, soit les vices de forme, soit les vices de fond limitativement énumérés à l’article 117 du nouveau Code de procédure civile » (6).

La nullité d’un acte de procédure tenant à une irrégularité de forme n’est pas souvent prononcée puisqu’elle exige l’existence d’un grief, laquelle est appréciée souverainement par les juges du fond, échappant ainsi au contrôle de la Cour de cassation (7).

La deuxième chambre civile a précisé que le juge qui, saisi d’une exception de nullité, relève d’office l’absence de grief, ne soulève pas un moyen de droit au sens des dispositions de l’article 16, alinéa 3 du Code de procédure civile (8).

La charge de la preuve de l’existence du grief incombe à celui qui invoque la nullité et le juge ne peut retenir d’office un grief non évoqué (9).

Parmi les irrégularités de fond énumérées à l’article 117 du Code de procédure civile (liste limitative (10)), figure « le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme représentant soit d’une personne morale (11), soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice » (12).

Réunie en 2002 en chambre mixte, la Cour de cassation a adopté comme principe que le défaut de désignation de l’organe représentant légalement une personne morale dans un acte de procédure, lorsque cette mention est prévue à peine de nullité, ne constitue qu’un vice de forme (13).

L’acte incriminé était en l’espèce une assignation ne comprenant pas la désignation de l’organe représentant légalement les sociétés intervenant en demande.

Ce principe ne posait guère de difficulté au regard de l’application du régime des nullités de forme, dès lors qu’une formalité requise à peine de nullité faisait défaut et qu’il n’était pas question de l’examen de l’une des irrégularités (défaut de pouvoir) énumérées par les dispositions de l’article 117.

Si la mention vise une personne n’ayant pas le pouvoir légal ou statutaire de représenter cette personne morale, le cas peut paraît simple, puisqu’il répond au cas d’irrégularité prévu à l’article 117, alinéa 3 du Code de procédure civile.

L’évolution jurisprudentielle n’appelle pourtant pas à une telle simplicité.

Il a été jugé en 1999 qu’en présence d’une contestation qui ne porte que sur la dénomination du représentant légal de la société, et non sur ses pouvoirs, l’existence d’un grief doit être établie par le demandeur à l’exception de procédure (14).

L’acte d’appel visé mentionnait que la société appelante agissait « poursuites et diligences de son président du conseil d’administration en tant que représentant légal », alors que la société demanderesse était une société à directoire et conseil de surveillance.

Le moyen de nullité était soulevé sur la base d’une contestation portant seulement sur la dénomination de l’organe, et non de son défaut de pouvoir.

Il ne s’agit effectivement pas d’un cas visé par l’article 117 du Code de procédure civile

A contrario, si le moyen de nullité avait été fondé sur le défaut de pouvoir de l’organe désigné à tort comme représentant la personne morale appelante, l’arrêt précité semble impliquer que le régime des nullités de fond aurait été retenu, évitant ainsi pour le demandeur à l’exception de procédure l’écueil de la justification de l’existence d’un grief causé par une telle irrégularité.

Un président du conseil d’administration n’a effectivement pas le pouvoir d’engager une société anonyme à directoire et à conseil de surveillance, puisqu’un tel organe n’existe pas dans ce type de structure.

Est-ce à l’aune de cette dernière explication que l’on peut comprendre la solution retenue par l’arrêt de la deuxième chambre civile du 28 février 2006 sous la présidence de M. Canivet ? (15).

Cette décision pose comme principe que l’indication erronée de l’organe représentant légalement une personne morale dans un acte de procédure, lorsque cette mention est prévue à peine de nullité, ne constitue qu’un vice de forme.

Le demandeur à l’exception de nullité n’avait pas justifié de l’existence d’un grief, puisque dans cette affaire, il ne contestait pas la dénomination de l’organe (16).

Son exception de nullité fut ainsi rejetée, l’arrêt d’appel l’ayant accueillie étant cassé.

Dans cette affaire, la déclaration d’appel attaquée visait, comme organe représentant la personne morale appelante, son « président-directeur général ».

Or, la personne morale était une société de droit israélien, et un tel organe n’existe pas en droit israélien.

Il ne pouvait s’agir, selon la Cour, que d’une erreur d’indication de l’organe représentant légalement la société.

Cet arrêt est à rapprocher de celui rendu par la première chambre le 6 décembre 2005 (17) : « … les irrégularités qui affectent les mentions de la déclaration d’appel constituent des vices de forme dont la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver l’existence d’un grief ».

Un gérant était porté sur la déclaration d’appel comme représentant légal d’une société constituée à l’origine sous la forme de société anonyme, mais transformée en cours d’instance d’appel en société par actions simplifiée.

L’organe « gérant » ne pouvait pas être l’organe désigné à l’acte de déclaration d’appel comme représentant légalement cette société puisque cet organe n’existe pas dans ce type de structure.

Le 11 janvier 2006, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (18) rendait un arrêt, sous la présidence de M. Dintilhac, jugeant que le fait d’indiquer dans l’acte de saisine un organe qui ne représente plus légalement la société appelante constitue une irrégularité de fond.

Cet arrêt a été rendu cinq semaines avant l’arrêt rendu par la même chambre le 28 février 2006 (19).

La quatorzième chambre de la Cour d’appel de Versailles (20) a jugé récemment que la mention du directeur général d’une société par actions simplifiée, visé comme représentant légal de cette société à l’acte d’appel, alors qu’il n’avait pas le pouvoir de représenter légalement cette société (la mention de la délégation statutaire n’était pas complétée par une déclaration au registre du commerce et des sociétés) constitue une irrégularité de fond affectant la validité d’une déclaration d’appel.

Depuis la loi dite « NRE » no 2001-420 du 15 mai 2001, le président du conseil d’administration, lorsqu’il n’assume pas la direction générale de la société, n’a plus pouvoir de la représenter.

Quelle nullité encourrait l’acte de procédure visant le seul président du conseil d’administration de la société anonyme requérante, alors que ce dernier n’assure par ailleurs pas la fonction de directeur général ?

Si le plaideur entend soutenir le seul moyen de défaut de pouvoir de l’organe visé dans la déclaration d’appel, et non une erreur dans la dénomination de l’organe visé, le régime de la nullité de fond devrait être appliqué, au sens de l’arrêt rendu le 5 octobre 1999 par la première chambre civile, mais également au sens de ceux rendus par la deuxième chambre civile le 11 janvier 2006 et la quatorzième chambre de la Cour d’appel de Versailles le 25 juin 2008, le cas de nullité étant dans cette hypothèse l’un de ceux limitativement énumérés à l’article 117, dans le respect de l’arrêt rendu en chambre mixte le 7 juillet 2006 (21).

Dans cette hypothèse, l’organe visé à la déclaration d’appel existe en droit pour le type de société en cause.

Seul son pouvoir est contesté.

La solution de l’arrêt rendu le 26 février 2006 par la deuxième chambre civile, généralisée à toute désignation erronée à l’acte de procédure, tendrait à priver d’intérêt l’article 117, alinéa 3 du Code de procédure civile.

Il suffirait en effet au défendeur à l’exception de nullité de soulever systématiquement l’erreur de mention à l’acte de procédure.

Il bénéficierait alors de l’application du régime des nullités de forme, dont on sait que l’accueil par la jurisprudence est rare, la reconnaissance d’un grief en rapport avec l’irrégularité dénoncée étant reconnue dans peu de cas.

Les dispositions de l’article 117, alinéa 3 viendraient alors à s’appliquer aux seules personnes physiques dénommées à l’acte de procédure, lorsqu’elles sont dépourvues de pouvoir de représentation de la personne morale.

Or, nous savons que la mention à l’acte de procédure du nom de la personne physique qui exerce ce rôle de représentation n’est pas exigée (22).

Ne désignant pas l’identité de l’organe représentant la personne morale à l’acte, le rédacteur pourrait ainsi se contenter de désigner un organe sans avoir à vérifier que ce dernier a le pouvoir de représenter la personne morale.

Pour les raisons qui précèdent, il est conseillé de soutenir un moyen subsidiaire tenant à l’existence d’un grief en rapport avec l’irrégularité alléguée.

Mais quel grief ?

Un arrêt du 3 juin 2004 rendu par la chambre criminelle donne un exemple de grief retenu intéressant : les prévenus n’étaient pas en mesure de s’assurer que la citation avait été délivrée à la requête d’une personne physique ayant qualité pour agir au nom de la personne morale (23).

Le demandeur, à l’exception de procédure, pourrait-il alors, sur le plan civil, espérer plaider avec succès l’existence d’un grief matérialisé par le fait qu’il n’a pas été en mesure de s’assurer que l’acte de procédure attaqué a été régularisé par une personne ayant qualité et pouvoir pour agir au nom de la personne morale ?

Interdire une telle vérification reviendrait en définitive à être privé de la possibilité d’utiliser le moyen de défense prévu à l’article 117, alinéa 3 du Code de procédure civile (24).

Ces craintes et incertitudes appellent une solution clairement établie au nom d’une efficacité de l’application des règles actuelles du Code de procédure civile en la matière, et d’une efficience de la jouissance pleine et entière des droits de la défense.

La chambre mixte apparaît principalement comme un instrument de régulation intérieure de jurisprudence des diverses chambres de la Cour de cassation, destiné à éviter la naissance entre elles de doctrines divergentes (25).

Il serait souhaitable qu’elle se prononce et qu’elle apporte plus de précisions sur le sujet.

 


 

(1) Mission Magendie, Célérité et qualité de la justice, Rapport au garde des Sceaux, 15 juin 2004.

(3) J.-Cl. Magendie, La justice civile, élément moteur d’une justice de qualité au sein de l’Union européenne ; rencontres des capitales européennes, C. Paris, 9-10 octobre 2008.

(4) Mission Magendie, Célérité et qualité de la justice, Rapport au garde des Sceaux, 15 juin 2004, extrait p. 6.

(5) L’acte nul n’interrompt pas le délai préfix, et n’interrompait pas, avant la réforme issue de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008, le délai de prescription.

(6) Cass. ch. mixte, 7 juillet 2006, Bull. ch. mixte, no 6.

(7) Cass. 2e civ., 21 octobre 1982, Bull. civ. II, no 129.

(8) Cass. 2e civ., 16 octobre 1974, Bull. civ. II, no 269.

(9) Cass. 3e civ., 9 mars 1994, Bull. civ. III, no 49.

(10) Cf. arrêt préc. supra, note no 5.

(11) Souligné par le rédacteur.

(12) Article 117, alinéa 3 du Code de procédure civile.

(13) Cass. ch. mixte, 22 février 2002, pourvois nos 00-19.639 et 00-19.742

(14) Cass. 1re civ., 5 octobre 1999, pourvoi no 95-17.030.

(15) Cass. 2e civ., 28 février 2006, pourvoi no 03-17.849.

(16) Moyen différent de celui soulevé par le demandeur à l’exception de nullité dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt rendu le 5 octobre 1999 par la première chambre civile, cf. note no 13, supra.

(17) Cass 1re civ., 6 décembre 2005, pourvoi no 03-12.342.

(18) Cass. 2e civ., 11 janvier 2006, pourvoi no 04-14.377.

(19) Cass. 2e civ., 28 février 2006, pourvoi no 03-17.849.

(20) C. Versailles (14e ch.), 25 juin 2008, RG nos 08/01978 et 08/02436.

(21) Cf. notes supra notes no 5, 13, 17 et 19.

(22) Cass. 2e civ., 14 janvier 1987, RTD civ. 1987, p. 399.

(23) Cass. crim., 3 juin 2004, Bull. crim., no 148.

(24) L’exception de nullité des actes pour irrégularité de fond constitue une exception de procédure régie par le chapitre II du titre cinquième « Les moyens de défense » du livre premier du Code de procédure civile.

(25) P. Bellet, La Cour de cassation, RID comp. 1978, p. 208