Les réformes entreprises depuis la conception moderne du procès devant le tribunal de grande instance consacrée par le nouveau Code de procédure civile en 1975 renforcent l’intervention du juge au cours de la phase préparatoire du procès via le confort et l’adjonction de pouvoirs au juge chargé de la mise en état (désigné ci-après JME).

Ce magistrat va veiller au bon déroulement de l’instruction, pouvant ainsi adresser des invitations ou des injonctions aux parties (en réalité aux avocats, car la représentation par avocat est obligatoire devant le tribunal de grande instance), fixer un calendrier de la procédure, et procéder aux jonctions d’instances.

Il fixe, de manière générale, « au fur et à mesure » les délais nécessaires à l’instruction de l’affaire, le nouvel article 764 du Code de procédure civile (désigné ci-après CPC) (1) consacrant le calendrier de la procédure.

Ce magistrat dispose en outre d’un réel pouvoir juridictionnel, statuant par ordonnance motivée (article 774 du CPC).

Si ces pouvoirs tels que définis à l’article 771 du CPC ne semblent pas poser de difficulté majeure (accorder une provision ad litem, accorder une provision lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ou sous condition de garantie, ordonner toutes autres mesures provisoires, mesures d’instruction…) le bloc de compétence qui lui est attribué via la notion de compétence exclusive n’apporte pas la simplicité et la célérité escomptées.

En effet, d’un point de vue temporel dans le cours du procès, le désir de simplicité attendu de la réforme issue du décret du 28 décembre 2005 n’est pas encore assouvi (I). Il en est de même de certains champs de compétence prêtant sensiblement à difficulté (II).

 

I. UNE EXCLUSIVITÉ DE COMPÉTENCE LIÉE À LA SEULE SAISINE DE LA JURIDICTION DE LA MISE EN ÉTAT

 

A – Principe

À partir du moment où le JME est désigné pour s’occuper d’une affaire, et jusqu’à son dessaisissement, lui seul est compétent pour ordonner les mesures visées à l’article 771 du CPC : ni la formation de fond du tribunal ni le président du tribunal statuant en référé ne peuvent alors les ordonner parallèlement. Le principe s’applique également devant la cour d’appel puisque l’article 910 du CPC dispose que l’affaire y est instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre (conseiller de la mise en état désigné ci-après CME) à laquelle elle est distribuée dans les conditions prévues par les articles 763 à 787 du même Code, en ce compris l’article 771.

B – Problématique

Ce principe d’exclusivité ne tient que pour autant que le JME ou le CME est saisi, ce qui n’est pas sans susciter de difficultés s’agissant du JME, la procédure devant la cour d’appel impliquant la mise en place d’une mise en état immédiate (article 910 du CPC).

En effet, avant la saisine ou après le dessaisissement du JME, la formation de fond du tribunal a compétence.

Soulever un incident devant une formation de fond au mépris de cette règle de bloc de compétence conduit à l’irrecevabilité du moyen d’incident soulevé :

« … les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ulté- rieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge » (article 771-1 du CPC).

Le plus souvent, le JME sera saisi par le défendeur au procès qui soulèvera par exemple l’incompétence de la juridiction saisie ou la nullité de l’acte de procédure à l’origine de l’instance.

Après une instruction avec mise en état, il ne devrait plus être possible de soulever pour la première fois devant la formation collégiale du tribunal ou de la cour d’appel une exception de procé- dure ou un incident mettant fin à l’instance, ce qui rend au demeurant partiellement obsolètes les dispositions des articles 118 et 123 non modifiés qui continuent à poser de manière trop générale que les exceptions de nullité pour vice de fond et les fins de non-recevoir (2) peuvent être opposées en tout état de cause.

Se posent alors les questions tenant à la saisine du JME et à son dessaisissement puisque de ces deux notions dépend l’application de son bloc de compétence, donc la recevabilité des moyens et prétentions soulevés devant sa juridiction.

 

1 – Saisine du JME

Cette saisine a lieu le jour de sa désignation.

La rédaction imprécise de l’article 818 du CPC ne permettait pas de déterminer à quel moment pré- cis intervenait la saisine du JME. Le jour de la décision du président renvoyant l’affaire à la mise état ? Le jour de la première audience du JME ?

Une décision de la Cour d’appel de Paris a considéré que faute de document permettant d’établir la date précise de saisine du JME, celle-ci est réputée intervenir le jour où le greffier adresse aux avocats l’avis qui les informe de la désignation du JME (3), c’est-à-dire le jour où les avocats peuvent connaî- tre son nom.

Aujourd’hui, l’incertitude textuelle se voit renforcée puisque le décret no 2008-522 du 2 juin 2008 a abrogé l’article 818 du CPC…

Si la décision précitée de la Cour d’appel de Paris permet de cerner avec plus de précision la date de saisine, cette même décision ne donne aucun indice sur l’initiative d’une saisine du JME.

On sait que la procédure devant le tribunal de grande instance connaît soit un circuit court, sans juge de la mise en état, soit un circuit long, avec mise en état.

Pour le défendeur, régulariser à la première audience de procédure, ou lors d’une autre audience de procédure (conférence du président), des conclusions d’incident prises « devant le juge de la mise en état », parce que ces conclusions font état de moyens et de prétentions rentrant dans les champs de compétence exclusive du JME, présente un risque.

De telles conclusions précèdent la désignation, donc la saisine du JME.

D’un point de vue purement théorique, en l’absence de texte précis, de telles demandes devraient être jugées irrecevables.

Quel juge serait compétent pour examiner ce cas très particulier d’irrecevabilité ? Le JME ?

Le problème qui se pose s’apparente plus en toute logique à un problème de compétence, et non à un cas de fin de non-recevoir.

Or, un problème de compétence répond à une exception de procédure, de la compétence du JME dès lors qu’il est saisi.

Une jurisprudence a considéré qu’il s’agissait d’un moyen d’irrecevabilité (4).

Quoiqu’il en soit, le texte de l’article 771 du CPC vise la sanction d’irrecevabilité, une telle sanction étant une fin de non-recevoir au sens des dispositions de l’article 122 du CPC, donc de la seule compétence de la formation de fond.

Alors que la dualité de compétence (mise en état et formation de fond) induite par le texte même de l’article 771 du CPC complique déjà et singulièrement le procès, la confusion fréquente entre fin de non-recevoir et exception de procédure ne facilite pas la compréhension du justiciable lorsqu’on doit lui expliquer de surcroît que la fin de non-recevoir ne rentre pas dans la compétence d’attribution du JME !

Pour éviter de telles querelles judiciaires, la pratique révèle que la plupart des juridictions sont clé- mentes sur ce point, mais l’état du droit est impré- cis et incohérent, ce qui incite nécessairement à la prudence.

Pour le défendeur qui souhaiterait soulever un incident mettant fin à l’instance, une exception de procédure, solliciter une mesure d’instruction ou toute autre prétention en rapport avec le champ de compétence exclusive du JME, il devra par précaution solliciter un renvoi de l’affaire à la mise en état et conclure devant le JME après avoir reçu le bulletin de renvoi à l’audience de mise en état.

Cette demande de renvoi à la mise en état peut être formée oralement devant le président lors de la première audience de procédure.

Pour celui qui souhaiterait stratégiquement que son exception de procédure, de par la technicité qu’elle suggérerait, soit tranchée par une formation de fond, en théorie et de par l’application même des dispositions de l’article 771 du CPC, rien ne l’empêcherait de la former, avant toute saisine du JME, par la voie de conclusions régularisée à l’attention du tribunal (formation de fond).

 

2 – Dessaisissement du JME

L’article 779 dernier alinéa du CPC dispose que « Le juge de la mise en état demeure saisi jusqu’à l’ouverture des débats ou jusqu’à la date fixée pour le dépôt des dossiers des avocats ».

Ce n’est pas parce que le JME a prononcé la clô- ture de l’instruction qu’il est dessaisi.

Si après l’ordonnance de clôture aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite, à peine d’irrecevabilité (article 783 du CPC), on peut légitimement être tenté de croire que plus aucun moyen ni aucune prétention susceptible de rentrer dans le champ de compétence du JME ne sera soulevé après clôture, et donc qu’aucun risque de confusion de compétence avec la formation de fond ne devrait surgir, puisque quand bien même les débats seraient ouverts, aucune écriture ne devrait être régularisée.

C’est omettre les conséquences liées à la possibilité d’une partie au procès de demander la révocation de la clôture, à la possibilité pour la juridiction (JME ou Tribunal (5)) de révoquer d’office cette même clôture ou de rouvrir les débats.

Il est vrai que le risque qu’une nullité de fond ou une fin de non-recevoir soit soulevée si tardivement est très faible, et qu’il ne manquerait pas, selon toutes vraisemblance, d’être sanctionné (6).

Cependant, ce risque existe théoriquement.

 

II. CERTAINS CHAMPS DE COMPÉTENCE EXCLUSIVE POSENT DIFFICULTÉ

Il s’agira d’un problème spécifique aux ordonnances statuant sur une exception d’incompétence, du sursis à statuer et des fins de non-recevoir. Un bref rappel sur les notions d’exception de procédure, d’incidents d’instance et de fin de nonrecevoir sera effectué (A) avant d’aborder les difficultés posées en la matière (B).

 

A – Rappel de notions

1 – Les exceptions de procédure

Les exceptions de procédure sont des moyens de défense font l’objet du chapitre II du titre cinquième « Les moyens de défense » du Livre premier du Code de procédure civile (CPC).

Elles sont définies à l’article 73 du Code de procédure civile : « constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours ».

Sont des exceptions de procédure :

– les exceptions d’incompétence (section première du chapitre II précité – articles 75 à 99 du CPC) ; – les exceptions de litispendance et de connexité (section II du chapitre II précité – articles 100 à 107 du CPC) ;

– les exceptions dilatoires (section III du chapitre II précité – articles 108 à 111 du CPC) ; – les exceptions de nullité : nullités des actes pour vice de forme (articles 112 à 116 du CPC) et nullité des actes pour irrégularité de fond (articles 117 à 121 du CPC).

 

2 – Les incidents d’instance

Ce sont au sens propre du terme les incidents qui vont compliquer le déroulement de l’instance.

Le Code de procédure civile dans sa qualification d’incident ne retient pour autant pas tout ce qui va réellement compliquer l’instance et en limite le champ au titre onzième de son livre premier.

Techniquement l’expression ainsi limitée n’est pas très heureuse : on peut dire que tous les problèmes rencontrés en cours d’instance sont des incidents d’instance puisqu’ils affectent tous, pour une raison ou pour une autre, son déroulement.

Il faut cependant se conformer à la classification du Code, lequel classe – ce qu’on pourrait qualifier de bon sens, mais improprement, d’incident d’instance – les exceptions de procédure, les fins de nonrecevoir, et les problèmes ayant trait à la juridiction saisie et aux magistrats (récusation, abstention et renvoi) dans d’autres catégories que les incidents dits « d’instance ».

On distingue ceux qui affectent la poursuite de l’instance de ceux qui l’éteignent :

– ceux affectant la poursuite : interruption, suspension, radiation et retrait de rôle ;

– ceux qui mettent fin à l’instance : articles 384 à 410 du CPC (transaction, acquiescement, désistement, décès, péremption, caducité).

 

3 – Les fins de non-recevoir

Elles font également partie des moyens de défense, puisque font l’objet d’un chapitre III du titre cinquième du Livre premier du CPC.

Elles sont définies à l’article 122 du CPC : « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité (7), le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

Elles ne constituent par conséquent ni un moyen de défense sur le fond, ni une exception de procédure, bien que touchant directement l’action.

Il s’agit d’une nature mixte, pour reprendre la qualification que donne le professeur Serge Guinchard de ce moyen de défense.

Ce moyen ressemble, d’une part, à la défense sur le fond proprement dite pour les effets, car il entraîne un échec définitif de la demande, d’autre part, aux exceptions de procédure par le terrain sur lequel il place le débat, le défendeur ne contredisant pas la demande sur le fond, mais paralysant sans engager ouvertement le conflit avec elle.

Les récentes réformes n’ont pas modifié la notion d’exception de procédure ni la notion proprement dite de fin de non-recevoir (moyen qui tend à faire déclarer la demande de l’adversaire irrecevable pour défaut de droit d’agir).

Les objectifs de célérité, de qualité et d’efficacité ont conduit le législateur, d’une part, à placer les exceptions de procédure dans le champ de la compétence exclusive du JME près le tribunal de grande instance dès lors que ce magistrat est saisi, avec toutes les conséquences inhérentes à ce rattachement de compétence, d’autre part, à élargir le champ des fins de non-recevoir pouvant être relevées d’office par le juge, tout en laissant ce moyen de défense en dehors du champ de compétence du JME.

 

B – Un champ complexe de la compétence exclusive reconnue au JME

L’article 25 du décret du 28 décembre 2005 a apporté une nouvelle modification de l’article 771 du CPC et avait pour objet de renforcer le pouvoir exclusif du JME pour statuer sur les exceptions de procédure ou incidents mettant fin à l’instance.

1 – L’exception d’incompétence, l’ordonnance du JME et le pourvoi en cassation

Se pose ici la difficulté liée à un pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt d’appel ayant statué sur une ordonnance du JME qui a lui-même statué sur une exception d’incompétence.

Est ici mis plus précisément en exergue le problème de la cohabitation entre l’autorité de la chose jugée qui s’attache désormais à l’ordonnance du JME qui a statué sur une exception d’incompé- tence (article 775 du CPC) et les dispositions des articles 605 à 608 du CPC.

Qu’en est-il de la recevabilité d’un pourvoi en cassation formé à l’encontre d’un tel arrêt ? Le problème s’est réellement posé dans une affaire (8).

Une telle irrecevabilité a en effet été soulevée par le conseiller rapporteur près la Cour de cassation dans une affaire pour laquelle un pourvoi avait été formé à l’encontre d’un arrêt d’appel qui avait statué sur une ordonnance du JME, laquelle avait ellemême tranché un moyen d’exception d’incompétence territoriale.

L’appel avait été formé du temps où les dispositions post décret de 1998 n’avaient pas encore été réformées par le décret du 20 août 2004, et où l’appel était par conséquent la voie de recours consacrée aux ordonnances du JME statuant sur une exception d’incompétence.

À l’époque, ces ordonnances n’avaient pas autorité de la chose jugée.

Bien qu’elles l’aient aujourd’hui, peut-on pour autant considérer que statuant sur une exception d’incompétence, elles mettent fin à l’instance au sens des dispositions de l’article 607 du CPC ?

Le conseiller rapporteur a proposé une irrecevabilité du pourvoi au visa des articles 607 et 608 du Code de procédure civile.

La jurisprudence citée par le conseiller rapporteur (9) était antérieure au décret no 98-1231 du 28 décembre 1998.

Cette décision pose pourtant le problème de la notion de « mettre fin à l’instance » que l’article 608 du CPC, conjugué avec l’article 607 du même Code, maintient, car non revu par la réforme du décret du 28 décembre 2005.

Ce décret a conforté la compétence du JME, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les exceptions de procédure, en celle comprise l’exception d’incompétence.

Cela signifie que dès lors que le JME est saisi, ce qui était le cas dans cette affaire, aucune autre formation du tribunal n’avait compétence pour trancher cette exception, et donc possibilité de joindre l’incident au fond, puisque le JME était (et l’est encore) saisi jusqu’à l’ouverture des débats (plaidoiries) selon les dispositions de l’article 779 du CPC.

À suivre le raisonnement du conseiller rapporteur, et compte tenu de l’exclusivité de compé- tence impartie au JME, de la voie de recours qui était depuis le décret précité du 28 décembre 1998 l’appel (article 776 du CPC ante décret no 2004-836 du 20 août 2004, ce décret ayant réinstauré le contredit), aucun recours en cassation ne pouvait dès lors être recevable à l’encontre d’un arrêt d’appel ayant statué sur une ordonnance du JME ayant lui-même statué sur une exception d’incompétence.

L’adverbe « toutefois » employé à l’alinéa 3 de l’article 776 du CPC exprime bien une exception au principe posé à l’alinéa précédent selon lequel les ordonnances du JME ne peuvent être frappées d’appel ou de pourvoi qu’avec le jugement statuant sur le fond.

À ce jour, le décret no 2005-1678 du 28 décembre 2005 en vigueur depuis le 1er mars 2006 a réinstauré la voie de l’appel comme voie de recours à l’encontre des ordonnances du JME statuant sur une exception d’incompétence (nouvel article 776 2o du CPC).

De plus, ce même décret a ajouté à l’article 771 du CPC la précision suivante : « … les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ». Le nouvel article 775 du CPC donne autorité de la chose jugée au principal aux ordonnances du juge de la mise en état statuant sur les exceptions de procédure.

Dès lors, une telle ordonnance qui tranche dans son dispositif le principal lié à l’autorité de la chose jugée qui y est attachée ne semble pas pouvoir être exclue des décisions susceptibles de faire l’objet d’un pourvoi en cassation au regard des dispositions des articles 606 et 607du CPC, sauf à ôter à la notion d’autorité de la chose jugée (article 480 du CPC) la portée qu’on voulait lui attribuer au sens de la réforme du 28 décembre 2005.

La Cour de cassation a en définitive déclaré le pourvoi en cause recevable, alors même qu’il n’était pas sous le régime des nouvelles dispositions (absence d’autorité de la chose jugée des ordonnances du juge de la mise en état) (10).

Le résultat procédural fût intéressant, mais la motivation demeure absente puisque le pourvoi a été in fine non admis (et plus précisément recevable mais rejeté en l’absence de toute motivation)…

Une harmonisation, voire un toilettage des textes en rapport avec la recevabilité d’un pourvoi en cassation et les nouvelles dispositions des articles 771, 775 et 776 du CPC aurait évité de tels débats d’interprétation, lesquels ont duré près de deux ans sur le seul problème de recevabilité ainsi soulevé.

 

2 – Le sursis à statuer

Il tend à suspendre le cours de l’instance : « La décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’évènement qu’elle détermine » (article 378 du CPC).

Le CPC classe le sursis à statuer parmi les incidents ne mettant pas fin à l’instance.

Il n’a dès lors pas vocation à rentrer dans le champ de compétence du JME.

Il figure sous le chapitre III « La Suspension de l’instance » du titre onzième « Les incidents d’instance ».

Pour autant, l’article 73 du CPC définit les exceptions de procédure comme « … tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière, soit à en suspendre le cours ».

Or, le JME est exclusivement compétent pour statuer sur les exceptions de procédure.

La jurisprudence n’est pas encore suffisamment nette pour déterminer avec précision le sens que le sursis à statuer revêt dans ces textes.

On pourrait considérer qu’il s’agit d’une exception de procédure si la décision suspend l’instance pour une cause que la loi prévoit (article 108 du CPC), c’est-à-dire lorsqu’il s’agit d’une exception dilatoire.

Ce serait un incident d’instance dans les autres cas, puisque l’article 377 du CPC dispose « en dehors des cas où la loi le prévoit… ».

Le sursis à statuer peut aussi ne pas être demandé par le défendeur, mais par le demandeur en cours de procès ou d’une partie jointe, tel le ministère public, auquel cas il ne s’agit pas d’un moyen de défense.

Le sursis à statuer peut être une demande incidente, non soumise au régime des exceptions de procédure, recevable en tout état de cause dès lors qu’elle se rattache aux prétentions originaires avec un lien suffisant (article 70 du CPC).

S’agissant d’un moyen soulevé en défense, la Cour de cassation, saisie pour avis par deux cours d’appel, répond étonnamment que la question n’est pas nouvelle et qu’en conséquence il n’y a pas lieu à avis…

Mais en justifiant son refus, la Cour de cassation « rappelle » néanmoins sa doctrine en précisant que la jurisprudence de la Cour de cassation retient que la demande de sursis à statuer constitue une exception de procédure (11).

Bien que ces avis revêtent une autorité jurisprudentielle importante compte tenu de la formation dont ils émanent, ils ne peuvent constituer un arrêt de règlement, prohibé par l’article 5 du Code civil, leur portée juridique étant dès lors nulle au regard de l’autorité de la chose jugée.

En conséquence et en droit, ils ne lient pas le juge demandeur d’avis, qui reste libre de ne pas suivre la solution.

Ils n’ont par ailleurs pas d’autorité à l’égard des autres juges, le droit français ignorant le système du précédent obligatoire propre aux systèmes du common law.

Il n’en demeure pas mois que ces avis auront une autorité morale puisqu’ils expriment « l’interprétation d’une formation éminente de la Cour suprême judiciaire » (12).

Par prudence, quelle que soit la base du moyen de sursis à statuer à développer, il est conseillé au plaideur de formuler une telle demande devant le JME pour éviter tout risque d’irrecevabilité définitive du moyen, lui laissant ainsi la possibilité de reformuler ce moyen devant la formation de fond si le JME estimait ne pas recevoir compétence en la matière.

 

3 – Les fins de non-recevoir

a – Élargissement des cas pouvant être relevés d’office Avant 2004, il existait une divergence jurisprudentielle entre les juridictions de fond et la Cour de cassation.

En principe, seules les fins de non-recevoir d’ordre public doivent être relevées d’office (article 125, alinéa 1er du CPC).

La possibilité était laissée au juge de les relever d’office en cas de défaut d’intérêt à agir (ancien article 125, alinéa 2 du CPC).

Les juridictions de fond relevaient toutefois d’office en cas de défaut de qualité et de chose jugée. La Cour de cassation censurait ces décisions considérant que seul le défaut d’intérêt à agir était relevable d’office.

Le décret no 2004-836 du 20 août 2004 a mis fin à cette divergence en modifiant le second alinéa de l’article 125 du CPC : « Le juge peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt, du défaut de qualité, ou de la chose jugée ».

Le rapport Magendie allait plus loin en prévoyant la possibilité pour le juge de soulever d’office toute fin de non-recevoir sans examen au fond.

Le décret du 28 décembre 2005 n’a pas suivi cette préconisation. Pour autant, la réforme issue du décret du 20 août 2004 est très délicate et présente une insécurité liée notamment au fait que la liste des fin de non-recevoir prévue à l’article 122 du CPC n’est pas limitative.

Prenons pour exemple : les fins de non-recevoir contractuelles susceptibles d’intégrer le champ de la notion de défaut d’intérêt, de défaut de qualité, de chose jugée (transaction) : quid d’un relevé d’office d’une telle fin de non-recevoir alors que le problème de fond affecterait la validité de la clause appliquée ? La simplification se heurterait ici à un droit essentiel : le respect du principe du contradictoire.

La garantie du contradictoire prône en tout état de cause l’invitation des parties à présenter leurs observations sur le moyen que le juge entend soulever d’office, et ceci dans un délai suffisant pour leur permettre d’émettre leurs observations au regard du droit et des faits de la cause.

b – Une compétence inchangée

Le juge du fond demeure compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir, le JME ne voyant ses compétences accrues au titre des exclusivités d’intervention qui lui sont conférées (article 771 du CPC) que pour « les exceptions de procédure et les incidents mettant fin à l’instance ».

Les atteintes au droit de l’action, propres aux cas de fin de non-recevoir, devraient, dans une logique d’apurement des problèmes procéduraux distincts du fond de l’affaire, être traitées en amont.

Le contentieux serait ainsi purgé, à l’instar des exceptions de procédures, des cas susceptibles d’atteindre l’action elle-même.

Rappelons que la fin de non-recevoir ne constitue pas un moyen de défense au fond, et touche directement le droit à agir.

S’il s’agit d’un moyen mixte (entre l’exception de procédure et le fond) la fin de non-recevoir obéit à un régime similaire, voire quasi identique à celui des nullités des actes pour irrégularité de fond, lesquelles sont des exceptions de procédure.

En effet, les nullités de fond et les fins de nonrecevoir peuvent être soulevées en tout état de cause (articles 118 et 123 du CPC), en l’absence de grief (articles 117 et 124 du CPC), et faire l’objet d’une couverture ou d’une régularisation avant que le juge statue (articles 121 et 126 du CPC).

Cette distinction de régime via le maintien des fins de non-recevoir dans le champ de compétence du seul juge du fond a suscité et suscite encore des difficultés :

– avant le décret du 28 décembre 2005, une situation d’inégalité : les décisions du JME n’avaient en effet pas autorité de la chose jugée, et les arrêts d’appel rendus à l’encontre ou sur ce type de décision pouvaient donner lieu à un risque d’irrecevabilité devant la Cour de cassation au regard de la combinaison des articles 605, 606 et 607 du CPC et de la jurisprudence (13), ce qui en réalité revenait à supprimer la possibilité de former un pourvoi en cassation à l’encontre d’un arrêt d’appel statuant sur une ordonnance du juge de la mise en état ;

– à ce jour, le risque d’inégalité demeure : une nullité de fond devra, bien que pouvant être soulevée en tout état de cause, être soulevée devant le JME dès lors qu’il est saisi puisqu’il s’agit d’une exception de procédure (article 771 du CPC), alors qu’une fin de non-recevoir pourra être soulevée plus tard, et pour la première fois postérieurement à son dessaisissement, alors même qu’elle ne surviendrait ou ne serait pas révélée après ce dessaisissement ;

– une décision du JME statuant sur un incident mettant fin à l’instance ne peut-il pas se confondre avec une décision statuant sur une fin de nonrecevoir ?

Comme le souligne à juste titre le professeur Blaisse, « on devine qu’une ordonnance du juge de la mise en état accueillant une fin de nonrecevoir tirée de la péremption d’instance aura statué sur un incident mettant fin à l’instance » (14), mais également sur une fin de non-recevoir, alors que ce moyen de défense n’est laissé qu’à la compétence de la formation de fond du Tribunal.

Pour autant, la Cour de cassation, suivant avis en date du 13 novembre 2006 (15), a répondu que « les incidents mettant fin à l’instance visés par le deuxième alinéa de l’article 771 du CPC sont ceux mentionnés par les articles 384 et 385 du même Code et n’incluent pas les fins de non-recevoir ». Les mêmes observations sur la portée juridique et morale de cet avis que celles figurant au 2 supra sont formulées. La Cour de cassation, régulatrice du droit, semble vouloir respecter la classification littérale du Code de procédure civile. Pour autant, une cohésion tendant à intégrer tous les incidents propres à influer sur le déroulement de l’instance et les fins de non-recevoir dans le champ de compétence du JME permettrait de purger en amont tout ce qui peut affecter la procédure, action de prime abord, puisque c’est elle qui détermine, via l’acte introductif d’instance, la base des prétentions du demandeur, lesquelles, avec les conclusions du défendeur, forment l’objet du litige (articles 4, 30 et 31 du CPC).

 

À l’évidence, et bien que les objectifs de célérité, de qualité, et d’efficacité soient forts louables pour le justiciable, les réformes intervenues durant les dix dernières années en procédure civile n’ont pas permis d’aboutir à leur réalisation, faute essentiellement de simplification des procédures et d’harmonisation, voire de clarification des textes réformés par rapport à certains textes non modifiés, toujours en vigueur.

Le plaideur défendeur devra veiller scrupuleusement à ne pas s’égarer dans les régimes juridiques applicables, en étudiant avec précision la qualification juridique des moyens de défense qu’il entend soulever, dont dépendent ces régimes juridiques.

Si le plaideur est demandeur, il lui est fortement conseillé de préparer avec minutie son acte introductif d’instance afin de limiter au maximum les risques de moyens de défense, d’exception de procédure ou de fin de non-recevoir.

S’il est défendeur, il ne doit pas oublier que la compétence du JME sera une garantie de sécurité et que les domaines nébuleux de compétence de cette juridiction doivent laisser la priorité à cette dernière, faute de ne plus pouvoir soulever devant la juridiction de fond ce qui serait estimé, même à tort, du ressort de la seule mise en état.

 


 

(1) Nouvel article 764 du CPC issu du décret no 2005-1678 du 28 décembre 2005.

(2) Les fins de non-recevoir sont ici visées dans le cadre de cette problématique, car comme nous le verrons dans le II. ci-après, leur exclusion au sein du bloc de compétence du JME ou du CME prête à discussion.

(3) C. Paris, 10 octobre 1980, Gaz. Pal., Rec. 1980, p. 656.

(4) Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux (6e ch. civ) le 10 mai 2006 (Gaz. Pal. no 215 du 3 août 2006, p. 15) a toutefois considéré que les incidents mettant fin à l’instance et les exceptions de procédure devaient être présentés au conseiller de la mise en état à peine d’irrecevabilité devant les juges du fond. La Cour applique l’article 771 du CPC en matière d’appel avec la sanction d’irrecevabilité, ce qui signifie qu’elle se fonde ici sur une fin de non-recevoir et non sur une exception d’incompétence. Pour autant, devant le tribunal de grande instance, à l’instar d’ailleurs de la cour, ne s’agit t-il pas d’un problème de compétence d’attribution entre deux formations juridictionnelles internes du tribunal de grande instance (JME et formation de fond) ou de la cour (CME et Cour) ? La fin de non-recevoir touche le droit d’agir et ne concerne pas la compétence. Il convient de rappeler que le JME dispose d’un pouvoir juridictionnel. Le texte manque de cohérence.

(5) La révocation est ordonnée par le JME avant l’ouverture des débats et la révocation est ordonnée par le tribunal après l’ouverture des débats (article 784 dernier alinéa du CPC).

(6) Articles 118 et 123 du CPC

(7) Ne pas confondre défaut de qualité et défaut de pouvoir : l’un répond à une fin de non-recevoir, l’autre à une nullité de fond.

(8) Cass. 1re civ., 7 juin 2006, pourvoi no 04-19.005.

(9) Ass. plén., 5 décembre 1997, Bull. no 11, p. 25.

(10) Cass. 1re civ., 7 juin 2006, pourvoi no 04-19.005.

(11) Cass. (avis), 29 septembre 2008, Gaz. Pal. du 30 octobre 2008, p. 3.

(12) J. et L. Boré, La Cassation en matière civile, Dalloz, p. 69, no 24.52

(13) Ass. plén., 5 décembre 1997, Bull. civ. no 11.

(14) Propos issus de la conférence Juriteam qui s’est tenue le 2 octobre 2006 à la Maison du Barreau de Paris.

(15) Cass. (avis), 13 novembre 2006, pourvoi no 06-00.012.