À propos du nouveau décret n°2010-1165 du 1er octobre 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale.

Ce décret confirme de par son adoption l’insuffisance qui caractérise l’état actuel de nos procédures orales, cette avancée n’est pas pour autant suffisante. En effet, l’écrit demeure facultatif, et seulement si les parties en sont d’accord, le juge peut fixer les délais et les conditions de communication de leurs prétentions, moyens et pièces : « Lorsque les débats sont renvoyés à une audience ultérieure, le juge peut organiser les échanges entre les parties comparantes. Si les parties en sont d’accord, le juge peut ainsi fixer les délais et les conditions de communication de leurs prétentions, moyens et pièces » (CPC, nouvel art. 446-2).

1. Les dispositions particulières aux procédures applicables devant les juridictions d’exception comportent une règle qui leur est commune et qui les distingue de la procédure applicable devant le tribunal de grande instance : il s’agit de l’oralité de la procédure.

La volonté d’origine fût que les parties puissent accéder au juge par une procédure simple et peu onéreuse. On considérait que les litiges portés devant les juridictions d’exception étaient des affaires simples et présentant peu d’importance.

2. Force est de constater que depuis plusieurs années, cette considération ne correspond plus du tout à la réalité. La complexité et l’importance des dossiers ne se retrouvent pas que devant le tribunal de grande instance, juridiction devant laquelle la procédure est écrite avec une mise en état organisée textuellement, cette mise en état étant elle même assurée par une formation juridictionnelle spécifique : le juge de la mise en état.

Une grande majorité des dossiers dévolus aux juridictions commerciales et sociales présentent indéniablement un enjeu important, et appellent à l’examen de règles de droit substantiel complexes, sans oublier les règles de procédure, dont il ne faut pas négliger l’impact sur l’issue de l’instance (règles de comparution, de placement, délais, exceptions de procédure, fins de non-recevoir, etc.).

Le tribunal d’instance, notamment en matière de baux, mais également de par le vaste champ de compétence matérielle qui lui revient, est amené à trancher des litiges mettant en exergue des règles et mécanismes complexes que les parties elles-mêmes ne peuvent maîtriser sans l’assistance d’un spécialiste.

3. La procédure orale répond insuffisamment à la clarté que requiert le lien d’instance via la détermination des prétentions et des moyens présentés par les parties (1). Les moyens offerts par le Code de procédure civile en matière de procédure orale, pour répondre à cette sécurité juridique, ne sont plus efficients. En effet, les plaideurs ne peuvent plus se contenter de la règle selon laquelle les prétentions des parties ou la référence qu’elles font aux prétentions qu’elles avaient formulées par écrit sont notées au dossier ou consignées dans un procès-verbal (2). Le sort du procès dépendrait alors de la vigilance du greffier et du juge à noter les prétentions et les moyens qui ne font l’objet que d’un exposé oral.

‘‘La procédure orale répond insuffisamment à la clarté que requiert le lien d’instance via la détermination des prétentions et des moyens présentés par les parties ”

Serait-ce réaliste et responsable, pour les praticiens qui connaissent la charge des rôles des audiences devant les ” juridictions concernées et la complexité de bon nombre des dossiers qui leur sont soumis, de prétendre à l’égard de leurs clients qu’il s’agirait là d’une sécurité efficiente ?

Le sérieux impose une réponse négative. Il convient de souligner par ailleurs que la Cour de cassation fait peser sur chacune des parties la charge de prouver qu’elle a effectivement soumis au juge le contenu des prétentions et moyens dont elle se prévaut (3). L’oralité des débats est-elle compatible avec l’obligation, à peine d’irrecevabilité, de communiquer par la voie électronique les actes de procédure, l’évolution vers la formalisation des écritures et la politique de concentration des prétentions, des moyens et des délais que notre droit va connaître d’ici peu, et dont la portée a vocation à toucher l’ensemble des procédures ? (4) Assurément pas.

4. Les dérives de l’oralité des débats affectant le respect du principe du contradictoire, la loyauté des débats, le contrôle du juge, et l’exercice normal des voies de recours a conduit à ce que soit proposée la création d’une mise en état effective devant les juridictions du tribunal de commerce, du conseil des prud’hommes, et du tribunal d’instance (5).

Le décret no 2010-1165 du 1er octobre 2010 (6), relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale, constitue une évolution appréciable puisqu’un ensemble de règles communes à toutes ces procédures est créé : « [restructuration de la soussection I de la section I du chapitre premier du titre XIV du livre Ier, et notamment la création de deux subdivisions : paragraphe 1 intitulé « Dispositions générales » au sein duquel sont insérés les articles 430 à 446 actuels, et un paragraphe 2 intitulé « Dispositions propres à la procédure orale », comprenant 4 nouveaux articles : 446-1 à 446- 4] ».

Des dispositions particulières à chaque juridiction sont posées (tribunal d’instance et juridiction de proximité, tribunal de commerce, tribunal paritaire des baux ruraux, cour d’appel, juge de l’exécution, juridictions particulières de la sécurité sociale). Aucune disposition spécifique n’a été entérinée s’agissant de la juridiction prud’homale.

‘‘ La procédure écrite est de plus en plus usitée, car elle permet une étude précise et juridique des éléments du procès

Les parties peuvent choisir de communiquer par écrit au moyen d’écritures sécurisées récapitulatives, et les modalités de comparution des parties sont assouplies pour limiter parfois les déplacements de celles trop éloignées.

5. L’oralité, qui caractérise encore à ce jour la procédure devant ces juridictions (l’écrit étant facultatif et la mise en état soumise à la volonté des parties) laissera place, sans autre avancée significative, aux dérives et atteintes connues, tant aux principes fondamentaux, qu’aux finalités de célérité et de qualité attendues par les justiciables.

6. La procédure écrite est de plus en plus usitée, car elle permet une étude précise et juridique des éléments du procès. Elle l’est même dans les procédures où elle n’est pas obligatoire, car magistrats et praticiens la réclament au nom d’une qualité indéniable du suivi de l’instance, du respect du contradictoire et de la loyauté des débats. La cour d’appel de Paris allait dans ce sens lorsqu’elle souhaitait en 2008 instaurer une procédure écrite devant ses chambres sociales (7).

Dès lors, la généralisation de l’écrit ne constituera nullement une révolution (8). La juridiction consulaire connaît en pratique une mise en état et un régime de fait pratiquement similaire à celui que connaît le tribunal de grande instance.

L’organisation de calendriers connait un essor considérable devant les juridictions prud’homales et d’instance. Ces calendriers ne sont pas suffisants : de par le principe de l’oralité des débats, dès lors que les parties ne sont pas d’accord sur le principe d’un échange de conclusions, le calendrier ne porte que sur des communications de pièces…

Les moyens ne sont alors connus qu’au dernier moment lors de l’audience des plaidoiries, ou lorsqu’après de multiples renvois, les parties, conscientes de ce qu’elles ne peuvent utilement œuvrer autrement (9), se décident à régulariser des écritures (un simple renvoi devant certains conseils des prud’hommes peut reporter l’affaire à 1 an !…).

Les praticiens du droit que nous sommes ne peuvent rester indifférent au nom du respect des justiciables que nous assistons, conseillons et représentons. Il n’est plus tolérable de lire ou d’entendre encore que « … il paraît nécessaire de réduire la demande adressée aux tribunaux dès que c’est possible, c’est-à-dire dès que des moyens moins traumatisants (10), moins coûteux, plus rapides peuvent légitimement apporter réponse » (11).

‘‘ Il est temps de consacrer une réforme tendant à la généralisation de la procédure écrite devant toutes les juridictions de l’ordre judiciaire

7. Il est temps de consacrer une réforme tendant à la généralisation de la procédure écrite devant toutes les juridictions de l’ordre judiciaire, accompagnée de l’instauration d’une mise en état appropriée à chacune des juridictions qui le composent, permettant ainsi en amont, lorsque lors de la première audience l’affaire n’est pas en état d’être jugée :

« 1) l’instruction du dossier via fixation d’un calendrier selon accord des parties, soit via la fixation de délais nécessaires à l’instruction de l’affaire eu égard à sa nature, à son urgence et à sa complexité ;

2) d’organiser, après avoir recueilli l’accord des parties, une médiation judiciaire ; dans tous les cas où la phase de tentative de conciliation n’est pas un préalable obligatoire prévu par la loi, si une conciliation entre les parties paraît envisageable, avec l’accord des parties, désigner un conciliateur de justice à cette fin ; de constater toute conciliation, même partielle des parties ;

3) de purger avant l’examen de fond des dossiers tous les incidents (sursis à statuer, communication des conclusions et pièces, etc.), les exceptions de procédure et les irrecevabilités ;

4) d’allouer une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable (ce que ne peut, en l’état actuel des textes, accorder le juge rapporteur près le tribunal de commerce – CPC, art. 862 à 869) ; de statuer sur les demandes incidentes de délai de paiement en application de l’article 1244-1 du Code civil ;

5) d’ordonner la constitution d’une garantie dans les conditions des articles 517 à 522 du CPC ;

6) d’ordonner toutes autres mesures provisoires et/ou conservatoires (à l’exclusion des mesures réservées à la compétence exclusive du juge de l’exécution), ainsi que toute mesure d’instruction ;

7) de procéder aux jonctions et disjonctions d’instance ; de prononcer l’extinction de l’instance dans les cas prévus par la loi ».

Courage, nous y sommes presque…

 


 

(1) « Le principe de sécurité juridique et les procédures orales », Procédures 2006, Études no 6.

(2) CPC, art. 843 (tribunal d’instance et juridiction de proximité) ; art. 871 (tribunal de commerce) ; C. trav., art. R. 516-6 et R. 516-7 pour le conseil de prud’hommes ; CPC, art. 882 pour le tribunal paritaire des baux ruraux par renvoi à l’article 843 du même code.

(3) Cass. 1re civ., 22 oct. 1974, no XXXX, Bull. civ. 1974, I, no 273.

(4) Notamment D. no 2009-1524, 9 déc. 2009, relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile.

(5) Notamment, discours de M. le recteur Guinchard, 18 janv. 2008 ; rapport Commission Magendie 2004, motion ACE, Commission Procédure civile, Congrès national de Toulouse, 5-6 nov. 2009.

(6) Texte en vigueur le 1er déc. 2010, applicable aux procédures en cours, sous certaines réserves tenant notamment à la tentative préalable de conciliation et aux instances en rectification.

(7) Discours de rentrée du Premier président Magendie, 16 janv. 2008.

(8) E. Jullien, « Réflexions sur une réforme annoncée de la postulation de première instance », Gaz. Pal., 28 sept. 2010.

(9) Comment répondre efficacement dans l’intérêt de son client à une communication de 100 pièces sans connaître les moyens adverses qui en sont le soutien ?

(10) Souligné par l’auteur.

(11) Publication du Conseil de la modernisation des politiques publiques, 4 avr. 2008.