Lexbase La lettre juridique n°692 du 23 mars 2017

Réf. : Cass. civ. 1, 8 février 2017, n° 16-19.855, F-D (N° Lexbase : A1968TCU)

Par une décision du 8 février 2017, la première chambre civile de la Cour de cassation retient que la décision de relaxe d’un avocat prononcée par le conseil de discipline, devenant irrévocable du fait de la cassation pour irrecevabilité de l’appel du procureur général, en raison de l’écoulement du délai de recours à la suite de la notification de la décision du conseil de discipline, il ne reste plus rien à juger.

La procédure disciplinaire que connait la profession d’avocat aura eu ces derniers temps l’occasion de mettre en exergue ses spécificités en matière de voies de recours.

Très récemment, par deux arrêts rendus par la cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 8 septembre 2016, deux arrêts, n° 16/09 339 N° Lexbase : A7590RZ7 et n° 16/08 663 N° Lexbase : A7514RZC), les tierces oppositions formées à l’encontre d’une décision disciplinaire furent jugées irrecevables pour défaut d’intérêt à agir du mandataire judiciaire, avec comme conséquence logique, l’irrecevabilité de la demande de suspension de l’exécution de la décision attaquée.

Le 8 février 2017, la première chambre civile de la Cour de cassation vient de réitérer sa position stricte d’application des conditions de l’appel formé à l’encontre d’une décision disciplinaire : le non-respect par le procureur général des conditions posées à l’article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d’avocat (N° Lexbase : L8168AID), rend son appel irrecevable, peu importe qu’il fût par la suite correctement régularisé dans le délai, la clôture des débats ayant été prononcée avant.

Il s’agit d’un arrêt de cassation venant censurer l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble qui avait jugé recevable l’appel du procureur général formé, dans un premier temps, par déclaration au greffier en chef de la cour d’appel à l’encontre une décision de relaxe ayant bénéficié à un avocat qui avait comparu devant le conseil de discipline de son Ordre. Le procureur général avait par la suite, dans le délai d’un mois, régularisé et confirmé son recours en remettant une lettre contre récépissé au greffier en chef de la cour d’appel. Hélàs, à cette date, l’affaire avait été mise en délibéré, de sorte que les débats étaient clôturés. La cassation était imparable.

La décision de cassation vise expressément l’article 16 du décret du 27 novembre 1991, ainsi que les articles 126 (N° Lexbase : L1423H4H) et 445 (N° Lexbase : L1119INR) du Code de procédure civile.

L’appel formé à l’encontre d’une décision disciplinaire répond à un régime strict, que la jurisprudence rend inflexible (I). La portée de cette solution doit cependant être examinée au regard des spécificités de la cause (II).

 

I — Un principe inflexible

A — Rappel des règles

L’article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d’avocat dispose en son premier alinéa que le recours devant la cour d’appel est formé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d’appel ou remis contre récépissé au greffier en chef.

Il est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire. Le délai de recours est d’un mois et suspend l’exécution de la décision du conseil de l’Ordre (décret n° 91-1197, art. 16, al. 2 et 6).

En l’espèce, la décision de relaxe attaquée datait du 11 mai 2016, le procureur général s’était contenté, dans un premier temps et dès le 11 mai 2016, de former appel par déclaration au greffier en chef de la cour, puis le 10 juin 2016, dans un second temps et donc avant l’expiration du délai d’un mois, confirmé son appel en remettant au greffier en chef une lettre contre récépissé, respectant ainsi la lettre de l’alinéa 1 de l’article 16.

La première chambre civile de la Cour de cassation a déjà affirmé à plusieurs reprises son intention de voir strictement appliquées les dispositions de l’article 16 précité. Ainsi, le 18 février 2015 elle décidait que le recours effectué par déclaration orale reçue par un greffier n’est pas recevable (1).

Le 29 juin 2016, la première chambre civile allait au-delà : une requête enregistrée au greffe de la cour d’appel n’est également pas recevable, quand bien même la requête serait revêtue du cachet du greffe précisant la date du dépôt et équivalant à un récépissé (2). Les juridictions de fond verront ainsi leur indulgence mise au ban.

”Dura lex, sed lex — la loi est dure, mais c’est la loi” rappelait à propos de cette affaire M. Aziber Seïd Algadi, dans son article du 1er septembre 2016 (3).

La règle est précise et jugée comme impérative, bien que le texte ne le précise pas. Il s’agit cependant d’une règle processuelle, ce qui en expliquerait la nature impérative quoique la sanction, en cas de non-respect, ne soit pas expressément prévue.

 

B — La sanction en cas de non-respect

La première chambre civile rappelle le principe du caractère irrecevable de l’appel formé au mépris d’une condition posée à l’article 16 du décret du 27 novembre 1991.

Il s’agit donc du régime des fins de non-recevoir, non limitativement énumérées à l’article 122 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1414H47). L’irrecevabilité est la sanction d’un cas de fin de non-recevoir.

Cette sanction ne s’applique, par conséquent, qu’aux seules fins de non-recevoir, c’est-à-dire à celles énumérées à l’article 122 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1414H47) : défaut de qualité, d’intérêt à agir, la prescription, le délai préfix, la chose jugée”.

Cette liste n’a pas un caractère limitatif : d’autres textes prévoient des cas d’irrecevabilité.

La Cour de cassation est venue compliquer le choix de la qualification en estimant, dans un arrêt rendu le 28 octobre 1997 (4) que la fin de non-recevoir peut résulter indirectement d’un texte. Comment alors les reconnaître ?

Si le terme ”fin de non-recevoir” n’est pas expressément prévu par le texte considéré, ce qui est le cas de l’article 16 du décret du 27 novembre 1991, l’indice de reconnaissance peut résulter de la qualification de la sanction y édictée : les mentions d’irrecevabilité, de forclusion, de prescription répondent à une fin de non-recevoir.

En l’espèce, le texte de l’article 16 n’en dit pas plus. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé que le défaut de saisine régulière d’un tribunal ne constitue pas un vice de forme mais une fin de non-recevoir et celui qui l’invoque n’a pas à justifier d’un grief (5).

La Cour n’ayant pas été régulièrement saisie, par analogie, il est alors permis de penser que la règle des nullités de forme ne s’applique pas.

C’est effectivement le principe qu’avait rappelé la première chambre civile dans son arrêt du 29 juin 2016 (Cass. civ. 1, 29 juin 2016, n° 15-19.589, F-P+B N° Lexbase : A2075RWR) en cas de saisine de la cour au mépris des règles de l’article 16 du décret du 27 novembre 1991.

La cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion avait déjà jugé en ce sens le 6 mars 2015 (6).

Le régime des fins de non-recevoir est moins contraignant que celui applicable, en principe, aux exceptions de procédure : on peut soulever une fin de non-recevoir à tout moment de la procédure (sauf intention dilatoire sanctionnée par des dommages-intérêts), et sans avoir à justifier d’un grief. On peut régulariser jusqu’à ce que le juge statue.

La Cour de cassation, dans l’affaire commentée, rappelle indirectement ce principe en visant l’article 126 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1423H4H), en vertu duquel, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de nonrecevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

Dans cette affaire cependant, la Cour de cassation ne permettra pas la régularisation formée dans le délai d’appel car le jour de la régularisation effectuée par le procureur général, la clôture des débats avait été prononcée.

 

II — Portée et spécificités

A — Champ d’application

Ce champ n’est pas restreint aux seules décisions disciplinaires. Il n’est, par ailleurs, pas assimilable en tous points à la procédure contentieuse sans représentation obligatoire.

L’article 16 du décret du 27 novembre 1991 ne vise pas que les seules décisions du conseil de discipline. Cet article prescrit le formalisme à respecter en cas de recours à l’encontre d’une délibération ou une décision du conseil de l’Ordre.

La jurisprudence issue de l’arrêt commenté s’applique au-delà des seules décisions disciplinaires.

Dans son arrêt précité du 29 juin 2016, la première chambre civile rappelait ainsi le principe en cas de recours à l’encontre d’une décision de rejet d’une demande d’inscription au tableau ou d’une ouverture d’un cabinet secondaire (N° Lexbase : A2075RWR). Sont donc concernées les décisions disciplinaires mais également celles relatives à l’inscription, au refus d’inscription au tableau, à l’omission du tableau, à l’inscription d’une mention de spécialisation ou au refus d’une telle inscription, au contrat de collaboration libérale ou de travail des avocats.

L’article 13 du décret du 27 novembre 1991 en fait référence au titre du délai de leur notification au procureur général et à l’avocat concerné : 15 jours à compter de leur date, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Bien que le texte de l’article 16 prescrive que le recours est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire, force est de constater que le régime propre à cette procédure n’est pas intégralement appliqué.

Selon cette procédure, la saisine de la cour peut être effectuée par déclaration que la partie ou tout mandataire fait ou adresse, par pli recommandé, au greffe de la cour (C. pr. civ., art. 932 N° Lexbase : L1007H43).

Le pli simple a été accepté et jugé recevable dès lors que la cour a pu constater que la déclaration a été enregistrée avant l’expiration du délai d’appel (7).

Il était donc tentant, comme la cour d’appel de Grenoble le fit, de juger recevable l’appel formé par le procureur général dans la présente affaire, d’autant qu’il avait remis au greffe de la cour une copie de la décision attaquée, conformément aux dispositions de l’article 933 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1012H4A).

Une telle solution est pourtant cassée car le formalisme de l’article 16, impérieux, est distinct.

 

B — L’irrévocabilité de la décision attaquée suit l’irrecevabilité du recours

La conséquence de l’irrecevabilité du recours est rude : la décision devient irrévocable car le délai a couru et a expiré depuis sa notification, notamment depuis la cassation de la décision qui rendait initialement recevable le recours.

L’article 126 permettait cependant au procureur général de régulariser la recevabilité de son recours dans le délai de procédure d’un mois imparti.

C’est bien ce qu’il fit puisque qu’il remit au greffier en chef le 10 juin 2016 une lettre contre récépissé, conformément à la lettre de l’article 16 du décret du 27 novembre 1991.

La jurisprudence a rappelé de nombreuses fois que la régularisation est possible dès lors qu’elle a bien été effectuée dans le délai d’appel.

Dans le cadre de la procédure sans représentation obligatoire, il n’y a pas de réelle mise en état, le greffier convoque le défendeur à l’audience prévue pour les débats. C’est lorsque l’affaire n’est pas en état d’être jugée que son instruction peut être confiée à un des membres de la chambre, magistrat chargé d’instruire l’affaire (C. pr. civ., art. 937 N° Lexbase : L1431I8I et s.). Or, après la clôture des débats, les parties ne peuvent plus déposer aucune note à l’appui de leurs observations.

En pareil cas, l’affaire est mise en délibéré, de sorte que la régularisation d’un recours contre la décision attaquée, objet des débats devant la cour d’appel, ne peut plus être effectuée, les débats ayant été clôturés sur la base d’une autre saisine : en l’espèce, celle initialement effectuée par le procureur général, non conforme aux exigences de l’article 16 du décret du 27 novembre 1991.

Une jonction n’était donc pas possible puisqu’il n’y avait plus de débats et que l’affaire était mise en délibéré. Une autorisation de produire une note en délibéré eût elle été demandée par le procureur général, son second appel n’aurait, à notre sens, pas d’avantage permis de régulariser sa procédure car il ne serait pas agi de déférer à une demande précise de la juridiction saisie ni de répondre à la partie adverse au sens où la jurisprudence admet la recevabilité des notes en délibéré.

La portée de l’arrêt commenté est donc drastique de par le caractère irrévocable de la décision attaquée qui s’en évince mais uniquement parce que les débats étaient clôturés au moment de la régularisation du second recours.

Il n’y aurait pas eu de clôture, le respect du délai d’un mois aurait permis au procureur général de joindre son premier appel avec le second, ce qui aurait régularisé toute sa procédure d’appel.

 


 

(1) Cass.civ. 1, 18 février 2015, n°14-50.040, FS-P+B (N° Lexbase : A0152NCM).

(2) Cass.civ. 1, 29 juin 2016, n°15-19.589, F-P+B (N° Lexbase : A2075RWR).

(3) A. S. Algadi, Du formalisme en matière de recours devant la cour d’appel contre une décision du conseil de l’Ordre, Lexbase éd. priv., n° 222, 2016 (N° Lexbase : N4016BWN).

(4) Cass. civ. 1, 28 octobre 1997, n° 95-19.538, F-D (N° Lexbase : A4286UCQ), Bull. civ. I, n° 293.

(5) Cass. civ. 2, 6 janvier 2011, n° 09-72.506, F-P+B (N° Lexbase : A7508GNE), Bull. civ. II, n° 5.

(6) CA Saint-Denis de la Réunion, 6 mars 2015, n°14/02 283 (N° Lexbase : A7344NDD).

(7) Cass. civ. 1, 2 novembre 1994, n° 93-05.085, Bull. civ. I, n° 315 (N° Lexbase : A7485ABT).

(8) Cf., notamment, Cass. com., 3 novembre 2015, n° 14-16.750, F-D (N° Lexbase : A0291NWP), Gaz. Pal., 19 janvier 2016, p. 58.