Lexbase Hebdo édition privée n˚677 du 24 novembre 2016

N° Lexbase : N4049BWU

Réf. : Cass. civ. 2, 13 octobre 2016, n˚ 15-25.926, F-P+B (N° Lexbase : A9681R7P)

A l’heure où la procédure d’appel est « repensée », compte tenu de l’urgence qu’il y a à remédier aux carences des réformes passées, aux vicissitudes vécues par les formations de cours et les conseillers de la mise en état, face aux vides et/ou absurdités générés par les textes actuellement en vigueur, l’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 13 octobre 2016, constitue un énième exemple qui ne rassure décidément pas.

Une banque a interjeté appel d’un jugement rendu par une juridiction consulaire, ce par le biais de deux déclarations d’appel dont la jonction a été ordonnée.

Apparemment, cette première vision de l’affaire ne suggère rien d’anormal dès lors que l’appel a été interjeté dans le délai d’un mois qui suivit la date de signification du jugement.

Le bât blesse, cependant, lorsqu’en prenant connaissance de toute la procédure, on apprend que cet appel était postérieur à l’appel déjà formé contre la même décision de première instance par les parties adverses, en réalité, premières appelantes à titre principal.

La banque, alors intimée, n’avait pas formé l’appel incident qui lui était ouvert dans le délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant, en vertu des dispositions de l’article 909 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0163IPQ) (CA Paris, Pôle 5, 6ème ch., 10 septembre 2015, n˚ 14/18 751N° Lexbase : A7571NNQ).

L’appel incident de la banque ne pouvait donc plus être formé, sauf à être jugé irrecevable.

Pour autant, un appel principal de la banque pouvait-il contrecarrer cette négligence, le délai d’appel principal n’ayant pas expiré ?

La cour d’appel saisie, vraisemblablement d’un déféré sur décision du conseiller de la mise en état (cas d’ouverture prévu par l’article 916 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0170IPY), estima cet appel irrecevable car la banque n’avait ni conclu, ni relevé appel incident dans le délai prévu par l’article 909.

La banque forma un pourvoi contre cet arrêt.

La réponse de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est un net rejet du pourvoi : « Et attendu que cette abstention, alors que cette voie de recours [l’appel incident] lui était ouverte dans les conditions prévues par l’article 550 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0372IGU), la banque n’était pas recevable à relever ensuite appel principal du jugement précédemment attaqué, la date de la signification de ce dernier étant indifférente ».

1. La solution donnée dans cette affaire, tant par la cour d’appel dont l’arrêt fût examiné, que par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, repose essentiellement sur le fondement de l’article 550 du Code de procédure civile, conjugué aux dispositions de l’article 909.

L’article 550, alinéa 1er, dispose : « Sous réserve des articles 909 et 910 (N° Lexbase : L0412IGD), l’appel incident ou l’appel provoqué peut être formé en tout état de cause, alors même que celui qui l’interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Dans ce dernier cas, il ne sera toutefois pas reçu si l’appel principal n’est pas lui-même recevable ».

L’article 909 enferme l’appel incident dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant et l’article 910 enferme la réponse de l’intimé à l’appel incident dans un même délai de deux mois pour conclure.

Le régime de l’appel incident est donc strict en termes de délai

2. Aucun texte ne soumet, toutefois, la recevabilité de l’appel principal à celle de la recevabilité d’un appel incident.

Les textes vont même plus loin en symétrie : l’appel incident est recevable quand bien même l’intimé auteur de l’appel incident serait forclos en son appel principal, sauf à ce que l’appel principal soit lui-même forclos (C. pr. civ., art. 550, al. 1).

Il est, par ailleurs, fréquent, lorsque la déclaration d’appel est caduque du fait de l’expiration du délai couperet prévu à l’article 908 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0162IPP), dès lors que le délai d’appel n’a pas expiré, de voir qu’un appel principal peut à nouveau être formé via la régularisation d’une nouvelle déclaration d’appel, la jonction des deux appels étant alors ordonnée, ce qui sauve la procédure initiale de l’appelant.

L’article 546 du même code (N° Lexbase : L6697H78) indique en amont et en principe que le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n’y a pas renoncé.

3. Peut-on considérer que l’intimé, qui a raté le délai pour former appel incident a renoncé à l’appel de la décision attaquée ?

La renonciation ne se présume pas et il est discutable de refuser une recevabilité là où elle est symétriquement acceptée textuellement (l’intimé peut former appel incident s’il est forclos en son appel principal), l’intimé défaillant ayant manifestement, surtout en cas de négligence à l’origine du non-respect du délai pour former appel incident, un intérêt à interjeter appel principal.

L’arrêt commenté vient donc restreindre le champ de recevabilité de l’appel principal en consacrant un nouveau principe : l’irrecevabilité de l’appel principal si la voie de l’appel incident est fermée, peu importe la date de signification du jugement attaqué, donc peu importe que le délai d’appel principal ne fût pas expiré.

Il s’agit d’une solution sévère que certaines juridictions de fond avaient déjà adoptée (1) mais que d’autres ont pourtant écartée (2).

4. Il est à noter que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a, le même jour dans une autre affaire, cassé un arrêt d’appel qui allait dans le sens de l’irrecevabilité de l’appel principal du fait du dépassement du délai prévu par l’article 909 (3)

Cette cassation s’expliqua uniquement parce que la cour d’appel avait relevé d’office cette irrecevabilité sans mettre les parties en mesure de la discuter contradictoirement, violant ainsi l’article 16 du Code de procédure civile (N° base : L1133H4Q).

Le principe de l’irrecevabilité de l’appel principal par l’intimé en cas d’irrecevabilité de l’appel incident, non remis en cause dans cette autre affaire, a donc été rappelé à deux reprises le même jour.

Plutôt que d’y voir une justification qui pourrait être recherchée dans la notion de fraude à la loi, au demeurant non évoquée dans la décision commentée, il faut y voir une volonté de limiter les appels, donc les procédures, pour une même affaire.

Il serait alors préférable de clarifier les textes car l’insécurité demeure et ces évolutions ne sont pas forcément comprises par les justiciables et les praticiens en l’état d’un droit positif déjà extrêmement sévère en la matière.


(1) CA Limoges, 30 mai 2013, n˚ 13/00 197 (N° Lexbase : A3242KES) ; CA Besançon, 22 mars 2013, n˚ 12/02 544 (N° Lexbase : A9460KAM) ; CA Montpellier, 11 mars 2014, n˚ 12/05 549 (N° Lexbase : A6614MG3).

(2) CA Angers, 3 décembre 2013, n˚ 13/02 235 (N° Lexbase : A7728KQB) ; CA Grenoble, 27 mai 2014, n˚ 11/00 926 (N° Lexbase : A5825MPG) ; CA Lyon, 25 novembre 2014, n ˚ 14/06 300 (N° Lexbase : A0518M4X).

(3) Cass. civ. 2, 13 octobre 2016, n˚ 15-25.995, F-P+B (N° Lexbase : A9611R74).