Conseils & entreprises • la revue de l ’ACE septembre 2017 • n° 141

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats doit maintenant être ratifiée par le Parlement. L’ACE s’est investie depuis longtemps dans ce vaste chantier législatif qui intéresse, au-delà de la France, les nombreux pays qui s’inspirent de notre Code civil. Ces travaux ont amené la Commission des lois du Sénat à souhaiter nous entendre. On trouvera ci-dessous la contribution déposée à cette occasion par Emmanuel RASKIN, Coordinateur des Commissions Nationales de l’ACE et Grégory MOUY, Co-Président de la Commission Droit des Sociétés de l’ACE, accompagnés de Jean- Louis COCUSSE, Délégué aux affaires publiques.

Emmanuel RASKIN, Coordinateur des Commissions Nationales de l’ACE et Grégory MOUY, Co-Président de la Commission Droit des Sociétés de l’ACE, accompagnés de Jean- Louis COCUSSE, Délégué aux affaires publiques

CONTEXTE :

Le 9 juin 2017, la Présidence du Sénat a enregistré le dépôt du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (projet de loi n° 578). Le texte avait été adopté en conseil des ministres et déposé à l’Assemblée nationale le 6 juillet 2016, puis renvoyé à la commission des lois de cette assemblée le 7 juillet 2016 (projet de loi n° 3928). Il a donc été retiré le 9 juin dernier pour être de nouveau déposé, cette fois au Sénat.

Son article unique est ainsi rédigé : « l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est ratifiée ». Ce projet de loi de ratification n’apporte donc aucune modification à l’ordonnance, qui est entrée en vigueur le 1er octobre 2016.

Dans le cadre de l’examen de ce projet de loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016, M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois du Sénat, a souhaité entendre l’ACE, notamment pour :

  •  connaître son avis théorique sur les nouvelles dispositions du Code civil entrées en vigueur depuis le 1er octobre 2016 à la suite de l’ordonnance du 10 février 2016,
  •  identifier ceux de ces articles qui nous paraissent comme les plus difficiles à interpréter,
  •  suggérer le cas échéant des modifications de ces textes pour l’avenir.

POSITION DE L’ACE :

L’ACE n’entend pas revenir sur les mérites incontestables de l’ordonnance du 10 février 2016 ayant codifié à droit constant, dans une perspective de prévisibilité du droit et de sécurité juridique, les nombreuses solutions ayant été dégagées par la jurisprudence depuis 1804 s’agissant de l’application des anciens articles 1101 et suivants du Code civil (principes applicables au cours des pourparlers, promotion de l’exigence de bonne foi, définition extensive des vices du consentement, etc).

En ce qui concerne les innovations et nouveautés introduites dans le Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016, l’ACE considère que certains des nouveaux articles 1101 et suivants du Code civil soulèvent actuellement des difficultés importantes d’application ou d’interprétation, la rédaction actuelle de ces textes étant notamment dommageable pour la sécurité juridique.

Plus précisément, l’ACE souhaiterait, pour les raisons ci-après exposées (voir les « justifications des propositions de l’ACE »), que des modifications soient apportées aux textes existants dans les 5 domaines suivants :

  1. Compte tenu de la possible application de certaines dispositions de l’ordonnance du 10 février 2016 aux contrats conclus avant son entrée en vigueur, découlant de l’existence d’un principe posé en jurisprudence d’application immédiate de la loi nouvelle aux « effets légaux du contrat », l’ACE souhaite, pour des raisons de sécurité juridique, que le Parlement réaffirme avec force, dans le cadre de la ratification de ladite ordonnance, que le principe selon lequel l’ordonnance du 10 février 2016 ne s’applique qu’aux contrats conclus après son entrée en vigueur concerne, sans réserve ni restriction, toutes ses dispositions. Par ailleurs, l’ACE souhaite qu’il soit précisé à l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 que dans le cas de contrats cadre et d’application conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance et de contrats d’application conclus postérieurement, les nouvelles dispositions s’appliquent à ces seuls contrats d’application conclus postérieurement.
  2. L’ACE souhaite également que l’article 1112-2 du Code civil ayant consacré une obligation légale de confidentialité des informations échangées lors des pourparlers, soit reformulé, certains points essentiels, laissés en suspens par l’actuelle rédaction, devant être précisés, en particulier la définition de l’information dite confidentielle et la durée de l’obligation légale de confidentialité nouvellement créée.
  3. L’ACE souhaite, en outre, que le Parlement clarifie la définition du contrat d’adhésion posé à l’article 1110 du Code civil, en précisant nettement que l’absence de conditions générales rédigées à l’avance par l’une des parties exclut la possible qualification de la convention en contrat d’adhésion, nonobstant l’existence d’une soustraction des stipulations du contrat à la négociation.
  4. Compte tenu des complexifications et perturbations très fortes que l’application de l’article 1161 Code civil aux sociétés va engendrer, l’ACE souhaite également que ce texte soit déclaré inapplicable aux personnes morales. Le droit des sociétés comporte déjà de nombreux dispositifs appréhendant les possibles conflits d’intérêts en cas de conventions conclues par le dirigeant avec lui-même ou avec une autre société qu’il dirige, et il lui appartient seul, s’agissant des conventions laissées jusqu’à présent en dehors de son champ de contrôle, d’étendre ses dispositifs s’il l’estime nécessaire.
  5. L’ACE souhaite enfin, s’agissant du devoir précontractuel d’information codifié à l’article 1112-1 du Code civil, la suppression de l’alinéa 4 dudit article.

MOTIVATIONS DES PROPOSITIONS DE L’ACE

  1. Réaffirmer avec force et sans réserve l’application pour l’avenir de l’ensemble des dispositions de l’ordonnance du 10 février 2016
    • a) A propos de l’application dans le temps de l’ordonnance du 10 février 2016, une question essentielle fait actuellement débat en doctrine : l’article 9 de l’ordonnance régissant le droit transitoire, selon lequel « Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016. Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne (…) », n’a-til pas en réalité vocation à s’effacer devant les principes du droit transitoire conduisant à l’application immédiate de la loi nouvelle aux « effets légaux du contrat » ? (voir par exemple N. Molfessis, Synthèse – Sur la mise en oeuvre de la réforme du droit des contrats, JCP E 2016. 1377, n° 5 ; H. Barbier, L’application immédiate de la loi nouvelle aux effets légaux du contrat … un enseignement à tirer pour l’ordonnance du 10 février 2016, RTD.civ 2017, p. 118 et s.).
      Dans un arrêt du 17 novembre 2016, la Cour de cassation a en effet rappelé, à propos de l’application dans le temps de la loi ALUR du 24 mars 2014, que la présence dans une loi d’un article prévoyant spécifiquement que celle-ci ne s’applique pas aux contrats conclus avant son entrée en vigueur n’était en rien un obstacle à l’application de la loi nouvelle aux « effets légaux du contrat » non encore réalisés, c’est-à-dire aux effets attachés aux contrats conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi mais non encore réalisés (Cass. Civ., 3e, 17 novembre 2016, n° 15-24.552).
      Il s’agissait en l’espèce de savoir si l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 tel que modifié par la loi ALUR du 24 mars 2014 prévoyant, dans un souci de renforcement de la protection des locataires, une majoration de la pénalité due au locataire par le bailleur tardant à restituer le dépôt de garantie, était ou non applicable à un contrat de bail conclu avant l’entrée en vigueur de la loi. La Cour de cassation y a été favorable alors pourtant que l’article 14 de la loi ALUR du 24 mars 2014 prévoyait que « les contrats de location en cours à la date [de l’entrée en vigueur de la loi] demeurent soumis aux dispositions qui leur étaient applicables ». Elle rappelle à cet effet que « la loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résulte que la majoration prévue par l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014 s’applique à la demande de restitution formée après l’entrée en vigueur de cette dernière loi » (voir également Cass., avis, 16 février 2015, n° 14- 70.011, Bull. 2015, Avis n° 2).
      L’application de telles solutions à l’ordonnance du 10 février 2016 pourrait conduire à limiter fortement la portée du principe de survie de la loi ancienne rappelé à l’article 9 de ladite ordonnance, et à faire entrer immédiatement en application, y compris donc aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, toutes les dispositions de l’ordonnance rattachables aux « effets légaux du contrat » non encore réalisés. On pense notamment aux dispositions de l’ordonnance du 10 février 2016 relatives aux remèdes à l’inexécution du contrat (articles 1217 et s. du Code civil) qui pourraient être concernées, comme celles concernant l’extinction ou la poursuite des contrats (articles 1210 à 1215 du Code civil), voire à l’article 1195 du Code civil relatif à la révision du contrat pour imprévision dont l’application aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016 ne saurait donc être complètement écartée (ce qui serait, à nos yeux, inacceptable compte tenu de la possibilité offerte aux parties d’évincer l’application à leur contrat de l’article 1195 du Code civil, texte supplétif de volonté, possibilité dont elles seraient par hypothèse privées s’agissant des contrats conclus avant l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016).
    • b) En l’état, la rédaction actuelle de l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016, tout comme les dispositions du Rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance, ne permettent pas, selon certains auteurs, de faire ressortir clairement l’intention du législateur de refuser toute application de la réforme aux contrats en cours (hormis bien sûr les dispositions relatives aux actions interrogatoires) pour certaines de ses dispositions (voir par exemple H. Barbier, L’application immédiate de la loi nouvelle aux effets légaux du contrat … un enseignement à tirer pour l’ordonnance du 10 février 2016, précité).
      Pour des raisons de sécurité juridique et de respect des prévisions des parties, la délimitation des contours de la théorie des « effets légaux du contrat » étant elle-même incertaine, il nous paraît alors opportun que, dans le cadre de la ratification de l’ordonnance du 10 février 2016, le Parlement clarifie la rédaction actuelle de l’article 9 en précisant que les dispositions nouvelles ne s’appliquent pas aux effets des contrats conclus avant son entrée en vigueur, y compris pour ceux se réalisant postérieurement à cette date.
      A défaut, les plaignants s’exposeraient à des débats sans fin devant les Tribunaux sur la portée du principe de survie de la loi ancienne posé à l’article 9 de l’ordonnance et sur l’identification de ceux des nouveaux articles 1101 du Code civil devant entrer dans la catégorie des « effets légaux du contrat », travail qui nous paraît pour le moins hasardeux (la force obligatoire du contrat étant prévue par la loi, tous les effets du contrat ne sont-ils pas d’une certaine manière des « effets légaux du contrat » ?) et qui ne serait pas réalisé, c’est-à-dire parachevé, par la Cour de cassation avant plusieurs années voire décennies.
    • c) Par ailleurs, la précision selon laquelle les contrats cadre et contrats d’application conclus avant la réforme sont soumis aux anciens textes et que les contrats d’application conclus postérieurement sont soumis aux nouveaux textes se justifie par le fait que les contrats en cause, bien que matérialisant des relations commerciales entre les parties au contrat cadre, sont autonomes.
      L’ACE suggère par conséquent une rédaction de l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 comme suit :
      « Article 9
      Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016 et s’appliqueront à tous les contrats conclus à compter de cette date, qu’il s’agisse de contrats autonomes, de contrats cadres ou de contrats d’application. Les contrats conclus antérieurement à cette date, qu’il s’agisse de contrats autonomes, de contrats cadres ou de contrats d’application, demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets se réalisant postérieurement à ladite date. Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance. Lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation. »
  2. Préciser la portée de l’obligation légale de confidentialité prévue à l’article 1112-2 du Code civil
    • d) La consécration à l’article 1112-2 du Code civil d’une obligation légale de confidentialité des informations échangées à l’occasion des pourparlers constitue une avancée remarquable dans la protection des informations sensibles des parties – d’ordre commercial, technologique, juridique ou financier – qu’elles s’échangent lors des négociations.
      En prévoyant que « celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun », le texte nouveau permet en effet de protéger a minima les parties, c’est-à-dire en l’absence de conclusion par elles d’un accord de confidentialité, en leur conférant une assise légale pour faire sanctionner l’utilisation ou la divulgation d’une information confidentielle obtenue lors des négociations.
      Toutefois, la rédaction actuelle de l’article 1112-2 du Code civil nous paraît maladroite et lacunaire. Il est tout d’abord tautologique d’affirmer que l’utilisation d’une information confidentielle est une faute. Dire que l’information est confidentielle, c’est précisément dire qu’elle n’est pas destinée à être diffusée et qu’en le faisant on commet une faute. La rédaction actuelle de l’article 1112-2 laisse en réalité entière la question de savoir, précisément, ce qu’est une information confidentielle. Le texte pourrait préciser ce point et aurait pu mentionner par exemple que : « Toute information non publique communiquée par une partie à l’autre dans le cadre des négociations précontractuelles est réputée confidentielle, sauf accord contraire des parties ».
    • e) D’autres aspects importants, actuellement éludés par l’article 1112-2 du Code civil, comme ceux relatifs à la durée de la confidentialité et aux circonstances autorisant exceptionnellement la divulgation des informations, pourraient également utilement être précisés par le Parlement à l’occasion de la ratification de l’ordonnance du 10 février 2016.
  3. Clarifier la définition du contrat d’adhésion prévue à l’article 1110 du Code civil
    • f) Le nouvel article 1110 du Code civil procède à une distinction entre le contrat conclu de gré à gré et le contrat d’adhésion. Le premier est celui « dont les stipulations ont été librement négociées entre les parties » ; le second « est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». La qualification d’une convention en contrat d’adhésion emporte des conséquences juridiques importantes dans le nouveau droit commun des contrats, le juge recevant alors notamment la possibilité de supprimer du contrat les clauses abusives, c’est-à-dire celles créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (article 1171 du Code civil).
      A la lecture de l’article 1110, on croit comprendre qu’une convention est un contrat d’adhésion si trois critères cumulatifs sont réunis : le contrat doit tout d’abord comporter des conditions générales ; elles doivent ensuite avoir été rédigées par l’une des parties et, enfin, doivent avoir été soustraites à la négociation. Le premier de ces critères, l’existence de « conditions générales » rédigées à l’avance par l’une des parties – soit un ensemble de clauses pré-rédigées et intangibles ayant vocation à s’appliquer de façon indifférenciée à tous les contrats que le rédacteur projette de conclure à l’avenir – nous paraît essentiel en ce qu’il permet de circonscrire la catégorie des contrats d’adhésion dans des limites raisonnables.
      Cette exigence textuelle, s’il devait effectivement s’agir d’une exigence, permettrait de soustraire, de manière opportune, du champ d’application des clauses abusives toutes les conventions que l’on rencontre fréquemment en droit des affaires, comme les statuts d’une société, les pactes d’associés, les cessions de droits sociaux, les contrats de distribution, etc, pour lesquelles il est illusoire d’identifier en leur sein des conditions générales et des conditions particulières.
      Tel semble d’ailleurs être l’esprit de l’ordonnance du 10 février 2016 ayant substitué à l’ancienne définition du contrat d’adhésion figurant dans le projet de réforme (Projet de réforme, article 1108 qui définissait le contrat d’adhésion comme celui « dont les stipulations essentielles, soustraites à la libre discussion, ont été déterminées par l’une des parties ») la définition nouvelle de l’article 1110 du Code civil faisant explicitement référence à la notion de « conditions générales » (voir par exemple sur cette question, F. Chénédé, Le contrat d’adhésion de l’article 1110 du Code civil, JCPG n° 27, p. 776 et suivants).
    • g) Toutefois, pour certains auteurs, cette référence à des conditions générales dans l’article 1110 du Code civil ne serait qu’un critère formel et ne serait pas décisive ; ceux-ci entendent faire prévaloir dans la définition du contrat d’adhésion le critère substantiel tiré de l’absence ou de l’insuffisance de négociations sur les stipulations contractuelles (voir par exemple Th. Revet, Les critères du contrat d’adhésion, D. 2016, p. 1771, spéc., n° 7). Pourraient même ainsi être rangés dans la catégorie des contrats d’adhésion les « contrats d’affaires entre parties qui n’ont pas la même puissance économique » (M. Mekki, Fiche pratique sur les contrats d’adhésion, Gaz. Pal. 22 mars 2016, n° 12).
      Une telle interprétation de l’article 1110 du Code civil, si elle devait l’emporter en jurisprudence, serait à nos yeux dangereuse car porteuse d’insécurité juridique, dès lors qu’elle conduirait à placer potentiellement dans le champ d’application des clauses abusives de très nombreuses situations contractuelles qui manifestement n’y ont pas leur place.
      Aussi, pour renforcer l’exigence de sécurité et dissiper les inquiétudes de la pratique, le Parlement pourrait, à l’occasion de la ratification de l’ordonnance du 10 février 2016, expliciter définitivement la pensée du législateur en (i) définissant d’une part la notion de « conditions générales » (voir par exemple la définition donnée par M. Seube pour qui les conditions générales sont des « clauses abstraites, applicables à l’ensemble des contrats individuels ultérieurement conclus, rédigées par avance et imposées par un contractant à son partenaire », A. Seube, Les conditions générales des contrats, in Etudes A. Jauffret, PUAM, 1974, p. 632), et (ii) en précisant d’autre part à l’article 1110 du Code civil in fine que : « la seule soustraction à la négociation de stipulations contractuelles est insuffisante pour qualifier la convention en contrat d’adhésion, en l’absence de conditions générales préexistantes rédigées par l’une des parties ».
  4. Exclure les personnes morales du champ d’application de l’article 1161 du Code civil
    • h) Comme on le sait, l’article 1161 du Code civil a consacré la théorie des conflits d’intérêts en prohibant la conclusion de certaines conventions, à savoir les contrats dits « avec soi-même » (hypothèse où le représentant est celui qui contracte avec le représenté) et les situations de « double représentation » (hypothèse où les deux parties au contrat sont représentées par la même personne).
      Ce nouveau texte prévoit en effet que :
      « Un représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat ni contracter pour son propre compte avec le représenté. En ces cas, l’acte accompli est nul à moins que la loi ne l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié ».
      En l’état actuel des choses, l’article 1153 du Code civil définissant les différents types de représentation, à savoir « le représentant légal, judiciaire ou conventionnel », rien ne permet d’exclure a priori les représentants légaux des sociétés du champ d’application de l’article 1161 du Code civil. Se pose alors un redoutable problème d’articulation de l’article 1161 du Code civil avec le droit des sociétés.
      Bien sûr, l’application du texte sera a priori naturellement écartée dans tous les cas où le droit des sociétés a mis en place une procédure spécifique relative à certaines conventions dont la conclusion est alors explicitement autorisée (conventions dites « réglementées »), compte tenu de la primauté des règles spéciales sur la règle générale de l’article 1161 du Code civil, aujourd’hui rappelée à l’article 1105. Le droit des sociétés a en effet déjà une réglementation des conflits d’intérêts visant certaines formes sociales que sont la SA, la SAS ou la SARL.
      Toutefois, certaines conventions passées par ces sociétés sont purement et simplement laissées hors du champ du contrôle mis en place par le droit des sociétés et ne font l’objet d’aucune procédure spécifique sans pour autant être à proprement parler « autorisées par la loi », parce que le risque qu’elles portent est apparu inexistant ou mineur aux yeux du législateur (conventions dites « libres »). En outre, ces dispositifs spécifiques de contrôle sont purement et simplement absents de certaines sociétés (sociétés en nom collectif, sociétés en commandite simple, sociétés civiles sans activité économique au sens de l’article L 612-5 du Code de commerce).
    • i) Face à ces configurations multiples, l’article 1161 est aujourd’hui porteur d’une lourde insécurité juridique car personne ne sait exactement comment s’articulera en jurisprudence ce texte avec ces nombreux dispositifs, ou plutôt leur absence, les opinions émises par la doctrine sur le sujet étant nombreuses et divergentes (pour une étude d’ensemble, voir notamment A. Couret, Nouveau régime de la représentation et conflits d’intérêts en droit des sociétés, Revue des sociétés 2017, p. 331 et s. ; voir également, par exemple, l’opinion émise par Anne Charvériat, Gestion des conflits d’intérêts : le paradoxe des conventions réputées libres, BRDA 9/16, n° 20).
      Face à ces graves insécurités, il nous paraît opportun que la Parlement clarifie la situation à l’occasion de la ratification de l’ordonnance du 10 février 2016. Comme a pu l’écrire Monsieur le Professeur Mortier, « Il est bien regrettable à vrai dire que le cas des personnes morales n’ait pas été réservé. Il fallait d’évidence exclure les personnes morales du domaine de l’article 1161 » (Renaud Mortier, Conflits d’intérêts : pourquoi et comment appliquer aux sociétés le nouvel article 1161 du Code civil, Droit des sociétés n° 8 et 9, août 2016, étude 11, spéc, §8).
      Les questions que pose la représentation en droit des sociétés sont en effet très spécifiques et ne peuvent s’accommoder d’un texte général qui les ignore. Le droit des sociétés comporte déjà, on l’a rappelé, de nombreux dispositifs appréhendant les possibles conflits d’intérêts en cas de conventions conclues par le dirigeant avec lui-même ou avec une autre société qu’il dirige, et il lui appartient seul, s’agissant des conventions laissées jusqu’à présent en dehors de son champ de contrôle, d’étendre ses dispositifs s’il l’estime lui, et non le droit commun des contrats, nécessaire. Pour ces raisons, l’ACE souhaite que l’article 1161 du Code civil soit déclaré inapplicable aux personnes morales.
  5. Le devoir précontractuel d’information
    • j) L’article 1112-1 nouveau du code civil consacre un devoir légal d’information précontractuelle. « Celle des parties qui connait une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. » Telles sont les dispositions de l’alinéa 1 de cet article. L’information due est définie négativement (ne porte pas sur la valeur de la prestation – alinéa 2) et positivement (ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties – alinéa 3).
      En affirmant que le demandeur doit prouver l’existence d’un devoir d’information à son profit, l’alinéa 4 de l’article 1112-1 fragilise, à notre sens, l’exigence légale de transparence pourtant consacrée. Si une obligation contractuelle doit être prouvée par celui qui en réclame l’exécution ou qui se plaint de sa méconnaissance, l’ACE estime qu’il ne doit pas en être de même s’agissant d’un devoir légal. L’alinéa 4 parait ainsi attribuer un caractère conditionnel à ce devoir légal, lui faisant perdre sa généralité en tant que principe. Les précisions relatives au domaine du devoir d’information sont suffisantes dans le texte. En rapporter la preuve n’est ni plus ni moins que le respect de la règle générale de la charge de la preuve tenant au respect de ces critères ainsi précisés.
      L’ACE estime donc que l’alinéa 4 précité est inutile et en demande la suppression pure et simple.

Elle remercie la Commission de l’attention qu’elle aura bien voulu accorder à cette contribution.