Lexbase Hebdo édition professions n°241 du 1 juin 2017

Réf. : Cass. avis, 5 mai 2017, n° 17 006 (N° Lexbase : A9752WBS)

L’évolution de la représentation obligatoire et de la procédure écrite devant les chambres sociales des cours d’appel induite par le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail (N° Lexbase : L2693K8A), n’a pas manqué de susciter le débat. Les formations de cours d’appel n’ont pas adopté de consensus sur la question, certains conseillers de la mise en état jugeant que les règles de la postulation territoriale s’imposeraient en la matière (CA de Pau, 23 mars 2017, n° 16/0 404 357 N° Lexbase : A0376UGZ ; cf. nos obs., De la postulation territoriale devant les chambres sociales des cours d’appel : ”tu veux ou tu veux pas ?…”, Lexbase, éd. Prof., n°238 N° Lexbase : N7659BWL), certaines formations de fond décidant le contraire. Un arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence jugea, en effet, le 24 février 2017, que la postulation territoriale ne s’applique pas (CA Aix-en-Provence, 24 février 2017, n° 16/20 625 N° Lexbase : A5439TP7)… La question suivante allait donc inéluctablement se poser devant la Cour de cassation : y a-t-il une postulation territoriale devant les chambres sociales des cours d’appel statuant en matière prud’homale consécutivement à la mise en place de la procédure avec représentation obligatoire ? C’est la demande d’avis formulée le 8 février 2017 par le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Versailles, reçue le 10 février 2017 par la Cour de cassation, dans le respect de la procédure d’avis prévue par les articles L. 441-1 (N° Lexbase : L7222K9D) et suivants du Code de l’organisation judiciaire (COJ) et 1031-1 (N° Lexbase : L2676K8M) et suivants du Code de procédure civile (CPC). Même si l’avis rendu ne lie pas la juridiction qui a formulé la demande (COJ, art. L. 441-3 N° Lexbase : L7955HNX) et qu’il est défendu aux juges de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises (C. civ., art. 5 N° Lexbase : L2230AB9, prohibant les arrêts de règlement), une certaine autorité, à l’évidence, s’y attache. Dans son avis n° 17 006 du 5 mai 2017, dénué de toute ambiguïté, la Cour de cassation a nettement opté pour la non application des dispositions relatives à la postulation devant les cours d’appel statuant en matière prud’homale, les parties pouvant, selon la Haute juridiction, être représentées par tout avocat si elles ne font pas le choix d’un défenseur syndical. Il convient de revenir sur les règles connues en l’état actuel du droit et sur la portée de la solution.

 

I — Les principes connus

A — Clarifications

Le terme ”postulation” est employé parfois à tort et souvent confondu avec la notion de territorialité qui y est rattachée.

L’avocat qui plaide ne représente pas pour autant son client. Ses paroles n’engagent alors pas ce dernier.

A la différence de l’assistance, la représentation consiste à ce que l’avocat se substitue à son client. Il l’engage luimême.

Pour éviter toute confusion et réduction de la notion de postulation à la seule notion de territorialité, il convient de rappeler que la postulation est la représentation appliquée à des hypothèses limitées où la partie ne peut légalement être admise elle-même à faire valoir ses droits et où la loi prévoit que cette représentation sera confiée à une personne qualifiée (avocat, avocat aux conseils) (1).

Jadis réservée aux seuls avoués près les tribunaux civils, puis les tribunaux de grande instance, la postulation fut réservée depuis la fusion des professions judiciaires aux avocats devant le tribunal de grande instance (TGI) en matière civile (loi du 31 décembre 1971, anc. art. 1-2), aux avoués devant la cour d’appel, et aux avocats aux Conseils devant la Cour de cassation et le Conseil d’Etat.

Cette représentation se manifeste par un acte, celui de la constitution d’avocat dans l’intérêt du client. Cette constitution emporte élection de domicile chez l’avocat.

B — Les évolutions textuelles de la territorialité

Avant la loi du 6 août 2015, l’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) précisait que les avocats ”exercent exclusivement devant le TGI dans le ressort duquel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant la cour d’appel dont ce tribunal dépend, les activités antérieurement dévolues au ministère obligatoire des avoués près les TGI et les cours d’appel. Toutefois, les avocats exercent ces activités devant tous les TGI près desquels leur barreau est constitué”.

Par dérogation, son article 1er, III disposait que ”les avocats inscrits au barreau de l’un des TGI de Paris, Bobigny, Créteil, et Nanterre peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d’avoué près les cours d’appel auprès de la cour d’appel de Paris quand ils ont postulé devant l’un des TGI de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de la cour d’appel de Versailles quand ils ont postulé devant le TGI de Nanterre”

Les exceptions à cette exception étaient les procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation.

Le texte, dans son ancienne version, ajoutait : ”En outre, un avocat ne peut exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d’avoué devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établi son barreau ni au titre de l’aide judiciaire, ni dans les instances dans lesquelles il ne serait pas maître de l’affaire chargé également d’assurer la plaidoirie”.

Depuis, l’article 5 loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifié par l’article 51 (V) de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, (N° Lexbase : L4876KEC), prévoit que les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l’article 4.

Ils peuvent postuler devant l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel.

S’attache à cette postulation territoriale étendue au ressort de la cour d’appel, le principe de l’obligation de communiquer par la voie électronique dans le cadre de la procédure d’appel avec représentation obligatoire par avocat (donc postulation).

L’article 930-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0362ITL) dispose, en effet, qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique. La seule exception à ce principe est la cause étrangère.

Dans ce cas, il faut respecter scrupuleusement le formalisme prévu à l’alinéa 2 de l’article 930-1. L’enjeu est donc de taille vu les sanctions encourues en cas de non-respect.

 

II — La solution retenue n’appelle-t-elle pas plus généralement la disparition de la territorialité de la postulation ?

 

A — La solution retenue

 

Alors qu’aucun texte ne vient clairement porter exception aux nouvelles règles rappelées au I. -B. supra, que les auteurs du texte de la réforme tenant au décret du 20 mai 2016, en vigueur depuis le 1er août 2016, n’ont pas pris la peine de lui faire préciser le contraire, il faudra apprendre, par circulaire du 27 juillet 2016 du Garde des Sceaux actuel (circulaire du 27 juillet 2016, relative au nouveau régime de postulation territoriale et nouvelles modalités de représentation devant les cours d’appel statuant en matière prud’homale à compter du 1er août 2016 N° Lexbase : L4749LBI), ”Pour information” que ”Ces nouvelles dispositions n’ont toutefois pas vocation à s’appliquer devant les cours d’appel en matière prud’homale…ce décret n’a pas pour conséquence de rendre applicables les règles de la postulation”.

La raison donnée est, dans cette circulaire, que l’appel en matière prud’homale échappe au monopole général d’assistance et de représentation.

Certes, un défenseur syndical peut exercer des fonctions de représentation devant les conseils des prud’hommes et devant les chambres sociales des cours d’appel.

Pour autant, cela exclut-il les règles de postulation territoriale, sachant que la postulation est désormais la règle devant ces chambres sociales ? La circulaire du 27 juillet 2016 répond par l’affirmative. La clarté textuelle eût été préférable : il est en effet regrettable que la réforme du 20 mai 2016 ne précisât pas clairement dans son propre texte l’exception ainsi annoncée par voie de circulaire.

Il paraissait, en effet, logique de considérer, comme l’ont fait certaines formations de cour d’appel, que dans la mesure où le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 modifiait l’article R. 1461-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2664K88) en prévoyant désormais que l’appel ”…est formé, instruit et jugé suivant la procédure avec représentation obligatoire”, les règles de la territorialité appliquées à la postulation s’appliquaient, aucun autre texte ne prévoyant clairement d’exception à ce principe.

Fallait-il alors voir dans le texte de l’article L. 1453-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5961KGU) une ouverture valant exception, puisque ce texte dispose qu’en la matière, ”les parties doivent s’y faire représenter par un défenseur syndical ou un avocat”, sans autre précision, donc sans exigence autre s’agissant de l’avocat ?

Le sens de la rédaction de l’avis commenté plaide en ce sens puisque la Cour de cassation prend le soin de conclure : ”ces dispositions [article 1453-4 du Code du travail et article 5 premier alinéa de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 modifié par la loi du 6 août 2015], d’une part, instaurent une procédure spécifique de représentation obligatoire propre à la matière prud’homale, permettant aux parties d’être représentées non seulement par un avocat mais aussi par un défenseur syndical, et, d’autre part, élargissent le champ territorial de la postulation des avocats à l’effet, dans un objectif d’intérêt général, de simplifier et de rendre moins onéreux l’accès au service public de la justice”.

 

B — L’avis met en relief le sursis du maintien de la territorialité de la postulation, de manière générale

 

Le développement des moyens de communication électronique entre les cabinets d’avocats et les juridictions ainsi que le droit communautaire condamnent à terme la postulation territoriale.

Pour autant, la complexité de la procédure de mise en état, tant devant le tribunal de grande instance que devant la cour d’appel, les problèmes de compétences posés en la matière, le maquis des règles de procédure civile et de leur régime juridique (conditions tenant à l’action, défenses sur le fond, exceptions de procédure, fins de non-recevoir, incidents d’instance, voies de recours etc.) conjugués à la floraison des textes que la même procédure civile a connu depuis cette dernière décennie, voire ce mois de mai 2017, et la gravité des conséquences que le mépris de ce droit peut avoir sur le fond, plaident en faveur d’une postulation reconnue comme une nécessité technique fondamentale devant les tribunaux de grande instance et les cours d’appel dès lors que la procédure est écrite.

La représentation du justiciable par un avocat est plus que nécessaire, ceci pour la bonne marche des tribunaux, des cours et, plus généralement, le bon fonctionnement de la justice.

Cette sécurité va de pair avec la généralisation de l’écrit dans les procédures, sans pour autant faire disparaître la plaidoirie. Celle-ci doit donc s’adapter et être efficace mais ne pas disparaitre.

La territorialité de la postulation appelle plus de tempérament.

La pratique de la multipostulation en région parisienne a montré qu’il est parfaitement possible pour l’avocat d’intervenir devant des juridictions distantes de quelques dizaines de kilomètres de son tribunal de grande instance de rattachement.

L’évolution de l’écriture et de la communication électroniques, ainsi que l’acheminement vers la visioconférence, ne plaident pas en faveur d’une postulation territoriale obligatoire.

La Cour de cassation, dans son avis du 5 mai 2017, n’hésite pas, pour sceller sa position, à mettre en avant l’intérêt général et le principe de l’accès au service public de la justice : elle indique en effet clairement que l’élargissement du champ territorial de la postulation des avocats a pour but ”dans un objectif d’intérêt général, de simplifier et de rendre moins onéreux l’accès au service public de la justice”.

Si la disparition de la postulation territoriale était à terme décidée, cela devrait s’envisager par étapes progressives, dans le laps de temps nécessaire pour voir se systématiser la mise en état et la communication électroniques et voir émerger une pratique de la visioconférence saine et garante de toute sécurité.

L’issue serait dès lors de parvenir à une compétence générale de représentation de chaque avocat devant l’ensemble des juridictions nationales.

Que les textes soient alors modifiés en ce sens, que le RPVA évolue sur le plan national, que la territorialité de la postulation cesse d’être obligatoire, que la postulation le demeure en revanche pour des raisons évidentes de sécurité juridique et de simplification judiciaire.

Cela n’empêchera pas celles et ceux qui veulent recourir à un avocat local de le faire.