Lexbase Hebdo édition professions n°243 du 29 juin 2017 N° Lexbase : N9096BWS

Réf. : Cass. civ. 1, 9 juin 2017, n° 15-29.346, FS-P+B (N° Lexbase : A4378WHM)

Pour une déclaration d’appel à l’encontre d’une décision du Bâtonnier, le formalisme de l’article 58 du Code de procédure civile ( N° Lexbase : L1442I8W ) s’applique mais la non indication des intimés à l’acte ne cause pas grief, de sorte que l’acte irrégulier en la forme de ce fait n’est pas nul et l’appel reste recevable. Dans un arrêt du 9 juin 2017, la Cour de cassation énonce que ni l’article 21 de la loi du 31 décembre 1971 ( N° Lexbase : L6343AGZ ) ni les articles 16 et 152 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ( N° Lexbase : A0152NCM ), auxquels renvoie l’article 179-6 du même décret relatif à l’appel des décisions d’arbitrage rendues pour le règlement des différends entre les avocats dans leur exercice professionnel ne définissent les mentions que doit contenir la déclaration d’appel et les sanctions qu’entrainent leur irrégularité. Selon l’article 277 du même décret, il est procédé comme en matière civile pour tout ce que le décret ne règle pas. Dès lors, la cour d’appel a énoncé à bon droit que la déclaration d’appel contre une telle décision d’arbitrage devait contenir les mentions prescrites par l’article 58 du Code de procédure civile. L’arrêt d’appel qui retient que cause nécessairement grief à ceux qui s’en prévalent, l’irrégularité tenant à la non identification des intimés à l’acte de déclaration d’appel, statue par des motifs impropres à caractériser l’existence d’un grief que le vice de forme retenu aurait causé aux intimés.

L’appel contre les décisions rendues en matière d’arbitrage par le Bâtonnier, dans le cadre du règlement des différends entre avocats dans leur exercice professionnel, connait un régime spécifique définit en substance par le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

Il est toutefois procédé comme en matière civile pour tout ce que ce décret ne règle pas.

Il faut donc être vigilant aux conditions de forme tenant aux actes de procédure, notamment à celles régissant la déclaration d’appel.

Le régime des nullités a vocation à s’appliquer et l’appréciation de l’existence ou non d’un grief causé par l’irrégularité dénoncée revêt alors une importance majeure dès lors qu’il s’agira d’une irrégularité de forme.

A la suite d’un différend entre avocats associés ayant exercé au sein d’une société civile professionnelle, l’arbitrage du Bâtonnier fut demandé, lequel s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance.

L’un des associés a interjeté appel de cette décision et la cour d’appel de Poitiers, saisie, a estimé l’appel irrecevable en raison du fait que la déclaration d’appel ne désignait pas les intimés.

La première chambre civile, dans son arrêt du 9 juin 2017 commenté, valide une partie du raisonnement des juges d’appel mais casse néanmoins leur décision en toutes ses dispositions.

La Cour de cassation confirme l’application par la cour d’appel des dispositions de l’article 58 du Code de procédure civile à la déclaration d’appel contre les décisions d’arbitrage du Bâtonnier, jugeant que si les articles 16 et 152 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ne définissent pas les mentions que doit contenir la déclaration d’appel et les sanctions qui entraînent leur irrégularité, l’article 277 du même décret dispose qu’il est procédé comme en matière civile pour tout ce que ce décret ne règle pas.

En revanche, la première chambre civile cingle l’arrêt d’appel en ce qu’il a estimé que causait nécessairement un grief aux intimés leur non désignation à l’acte de déclaration d’appel : ”Attendu que pour statuer comme il l’a fait, l’arrêt énonce que la déclaration d’appel ne désigne aucun intimé… contre qui le recours est formé, en violation des dispositions de l’article 58 du Code de procédure civile ; qu’il en déduit que la SCP ainsi que Mme X et M Z, en leur qualité de liquidateurs amiables, sont bien fondés à invoquer le non-respect des dispositions des articles 931 (N° Lexbase : L0426ITX) et suivants du code précité, qui leur cause nécessairement grief… Qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’existence d’un grief que le vice de forme retenu aurait causé aux intimés…la cour d’appel a privé sa décision de base légale eu regard du texte susvisé”.

Le régime de l’appel formé à l’encontre d’une décision d’arbitrage du Bâtonnier mérite quelques rappels que la Cour de cassation reprend dans son arrêt. La sanction à examiner retient toutefois l’attention (I).

Le régime de nullité applicable rend très périlleux le succès d’une telle exception de procédure, donc de l’irrecevabilité de l’appel qui en découlerait (II).

I — Ce que le texte spécial ne prévoit pas ressort du droit commun

L’article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d’avocat dispose en son premier alinéa que le recours devant la cour d’appel est formé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d’appel ou remis contre récépissé au greffier en chef.

Il est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire.

La première chambre civile de la Cour de cassation a déjà affirmé à plusieurs reprises son intention de voir strictement appliquées les dispositions de l’article 16 précité.

Ainsi, le 18 février 2015 elle décidait que le recours effectué par déclaration orale reçue par un greffier n’est pas recevable (1).

Le 29 juin 2016, la première chambre civile allait au-delà : une requête enregistrée au greffe de la cour d’appel n’est également pas recevable, quand bien même la requête serait revêtue du cachet du greffe précisant la date du dépôt et équivalant à un récépissé (2).

Les juridictions de fond ont ainsi vu leur indulgence mise au ban.

”Dura lex, sed lex, la loi est dure, mais c’est la loi” rappelait à propos de cette affaire Monsieur Aziber Seïd Algadi dans son article du 1er septembre 2016 (3).

La règle est précise et jugée comme impérative, bien que le texte ne le précise pas. Il s’agit cependant d’une règle processuelle, ce qui en expliquerait la nature impérative quoique la sanction, en cas de non-respect, ne soit pas expressément prévue.

La première chambre civile a rappelé le principe du caractère irrecevable de l’appel formé au mépris d’une condition posée à l’article 16 du décret du 27 novembre 1991.

Il s’agit donc du régime des fins de non-recevoir, non limitativement énumérées à l’article 122 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1414H47).

L’irrecevabilité est la sanction d’un cas de fin de non-recevoir.

Cette sanction ne s’applique par conséquent qu’aux seules fins de non-recevoir, c’est-à-dire à celles énumérées à l’article 122 du Code de procédure civile : défaut de qualité, d’intérêt à agir, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Qu’en est-il lorsque la Cour n’a pas été régulièrement saisie ? Nous serions tentés de songer au régime des nullités des actes de procédure.

La première chambre civile dans un arrêt du 29 juin 2016 (Cass. civ. 1, 29 juin 2016, n° 15-19.589, F-P+B N° Lexbase : A2075RWR) a écarté le régime des nullités en cas de saisine de la cour au mépris des règles de l’article 16 du décret du 27 novembre 1991.
La cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion avait déjà jugé en ce sens le 6 mars 2015 (4).

Si en l’espèce l’irrecevabilité a été retenue en appel, c’est parce que l’acte de déclaration d’appel a été jugé irrégulier pour vice de forme et qu’un grief a été déduit nécessairement, selon les termes de la cour d’appel de Poitiers, de ce vice, à savoir la non désignation des intimés.

Ce vice n’a pas été régularisé dans le délai d’appel, d’où vraisemblablement la sanction de l’irrecevabilité de l’appel qui en a découlé. Ce raisonnement est d’ailleurs discutable (cf. II infra vu l’évolution de la jurisprudence sur les causes interruptives de prescription et de forclusion).

Y a-t-il antinomie avec les arrêts précités ?

Non car ce ne sont pas les conditions de l’article 16 du décret du 27 novembre 1991 qui sont remises en cause en l’espèce, lesquelles, en cas de non-respect seraient sanctionnées par une irrecevabilité (cf. développements supra).

Le fait que les articles 16 et 152 de ce décret ne définissent pas les mentions que doit contenir la déclaration d’appel impliquait qu’il faille raisonner selon les dispositions de l’article 277 du même décret : il est procédé comme en matière civile pour tout ce que le décret ne règle pas.

Le droit commun devait alors s’appliquer en matière de déclaration. Les dispositions de l’article 58 du Code de procédure civile furent donc examinées.

L’article 933 du même code (N° Lexbase : L1012H4A), applicable dans le cadre de l’appel sans représentation obligatoire, renvoie d’ailleurs expressément aux dispositions de l’article 58 précité quant aux mentions que doit contenir la déclaration d’appel.
Ce texte dispose en son 2° qu’à peine de nullité, la requête ou la déclaration doit contenir l’indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée ou, s’il s’agit d’une personne morale, de sa dénomination et de son siège social.

La sanction est bien prévue par le texte : la nullité.

En l’espèce, nulle contestation sur l’irrégularité qui affecte l’acte de déclaration d’appel puisqu’il ne contient aucune désignation des intimés.

La Cour de cassation ne remet pas en cause ce point de droit en rappelant l’application des dispositions de l’article 58.

La déclaration devait-elle être pour autant jugée nulle ?

II — Le régime de nullité applicable rendait vaine l’irrecevabilité de l’appel

La Cour de cassation a clarifié les débats s’agissant des cas de nullité invocables dans l’arrêt qu’elle a rendu en chambre mixte le 7 juillet 2006 (5) : la notion d’inexistence ne saurait être admise aux côtés des nullités de forme et des nullités de fond.

Quelle que soit la gravité de l’irrégularité alléguée, seules affectent la validité d’un acte de procédure, indépendamment du grief qu’elles ont pu causer, les irrégularités de fond limitativement énumérées à l’article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1403H4Q).

Ainsi, en dehors des vices de fond limitativement énumérés, seuls les vices de forme peuvent être soulevés, à supposer que la loi le prévoit expressément ou que la violation consiste en l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public (C. proc. civ., art. 114, al. 1er N° Lexbase : L1395H4G). Dans ce cas la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité (C. proc. civ., art. 114, al. 2).

L’existence du grief relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. civ. 2, 19 novembre 2014, n° 13-25.546, F-D N° Lexbase : A2976M3M).

Encore faut-il motiver l’existence de ce grief. La Cour de cassation veille à cela et refuse d’admettre que d’un vice avéré le juge en déduise, comme l’a fait la cour d’appel de Poitiers, que ce vice ”cause nécessairement grief”.

Là s’opère le contrôle de la Cour de cassation, ce qu’elle rappelle très nettement dans son arrêt commenté en censurant la cour d’appel : ”Qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’existence d’un grief que le vice de forme aurait causé aux intimés[…]”.

La déclaration d’appel constitue un acte de saisine de la cour puisque l’appel, dans le cadre de la procédure sans représentation obligatoire, est formé par une déclaration unilatérale que la partie ou tout mandataire fait ou adresse par pli recommandé, au greffe de la cour (C. proc. civ., art. 932 N° Lexbase : L1007H43).

C’est bien l’acte de saisine qui avait été annulé par la cour d’appel de Poitiers, de sorte que l’appel fût jugé irrecevable car non régularisé dans le délai.

N’y aurait-il pas eu autre moyen de cassation si la nullité eût été validée ?

Nous relèverons en effet que si la nullité n’avait pas été cassée, ce qui supposât que la cour d’appel motivât l’existence d’un grief dument identifié, l’appel n’eût pas pour autant encourut l’irrecevabilité. La deuxième chambre civile a, dans un arrêt du 16 octobre 2014, clairement posé comme principe que le délai d’appel est un délai de forclusion et que la décision annulant une déclaration d’appel pour vice de fond a un effet interruptif sur le délai d’appel au sens de l’article 2241, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L7181IA9) (Cass. civ. 2, 16 octobre 2014, n° 13-22.088 N° Lexbase : A6522MY9).

La Cour de cassation rappela que c’est la décision d’annulation de la première déclaration d’appel à laquelle s’attache l’effet interruptif du nouveau délai qui recommence à courir. L’effet interruptif subsiste tant que la décision n’est pas rendue.

Le texte de l’article 2241, alinéa 2, du Code civil, prévoyant les causes d’interruption des délais de prescription et de forclusion, est large : ”lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure”.
Les vices de forme en font évidemment partie.

A l’origine de ce nouveau texte (C. civ., nouvel art. 2241), la commission des lois avait décidé de prévoir l’interruption du délai de prescription ou de forclusion lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure, entendu vice de forme : ”Elle a en revanche décidé de prévoir l’interruption du délai de prescription ou du délai de forclusion lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure, alors qu’actuellement l’interruption est regardée comme non avenue si l’assignation en justice est nulle par défaut de forme (C. civ., art. 2247). Il lui a en effet semblé logique de conférer les mêmes effets à deux erreurs similaires portant, l’une sur la juridiction compétente, l’autre sur la procédure à suivre” (6). Ainsi l’évolution était souhaitée afin qu’un simple vice de forme ne puisse anéantir définitivement un droit d’action par l’effet d’une prescription ou d’une forclusion.

L’intérêt de se battre sur la nullité d’une déclaration d’appel se tarit car l’interruption du délai d’appel par la décision de nullité permettra une régularisation nonobstant une signification de jugement bien antérieure.

Restent les cas de caducité, nombreux dans le cadre de la procédure d’appel avec représentation obligatoire, pour lesquels la question se pose en droit, s’agissant de la qualification de vice de procédure et, en tout bon sens, d’un effet interruptif sur les délais de prescription et de forclusion au regard de loi nouvelle en la matière.

 


 

(1) Cass. civ. 1, 18 février 2015, n° 14-50.040 (N° Lexbase : A0152NCM).
(2) Cass. civ. 1, 29 juin 2016, n° 15-19.589 (N° Lexbase : A2075RWR).
(3) Lexbase, éd. prof., n° 222 (N° Lexbase : N4016BWN).
(4) CA Saint-Denis de la Réunion, 6 mars 2015, n° 14/02 283 (N° Lexbase : A7344NDD).
(5) Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 03-20.026, P+B+R+I, (N° Lexbase : A4252DQK), Bull. ch. mixte, n° 6.
(6) Rapport Sénat n° 83 de Mr Laurent Béteille, fait au nom de la Commission des lois, déposé le 14 novembre 2007.