Lexbase Hebdo édition privée n°738 du 12 avril 2018

Réf. : Cass. civ. 2, 1er mars 2018, deux arrêts, n° 17-11.284 (N° Lexbase : A0521XGE) et n° 16-27.592 (N° Lexbase : A0612XGR), F-P+B

Par deux arrêts rendus le 1er mars 2018, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation retient d’une part, que la décision, par laquelle le conseiller de la mise en état révoque l’ordonnance de clôture, relève de son pouvoir propre. Elle ne peut dès lors être remise en cause devant la formation collégiale de la cour d’appel ; d’autre part, ne peut être ordonnée la révocation de l’ordonnance de clôture ni fixée la nouvelle date de clôture de l’instruction, ni confirmé par la même décision l’ordonnance entreprise sans que la réouverture des débats n’ait été ordonnée.

Le régime de la révocation de l’ordonnance de clôture devant la cour d’appel connaît ses spécificités, ainsi que le relèvent deux arrêts rendus le 1er mars 2018 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

Il s’agit de deux arrêts de cassation.

Dans la première affaire, la Cour relève que la décision de révocation de l’ordonnance de clôture ne peut être remise en cause devant la formation collégiale de la cour d’appel.

Dans la seconde, elle rappelle avec force l’impérieuse nécessité de justifier l’existence d’une cause grave ainsi que celle de faire respecter le principe du contradictoire en cassant un arrêt de cour d’appel qui, ayant ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture, fixé la nouvelle clôture de l’instruction puis confirmé l’ordonnance entreprise, n’avait pas réouvert les débats.

 

I — Le juge de la révocation de l’ordonnance de clôture dans le cadre de la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel

L’article 784 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7022H79) dispose que : ”l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue ; la constitution d’avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation. Si une demande en intervention volontaire est formée après la clôture de l’instruction, l’ordonnance de clôture n’est révoquée que si le tribunal ne peut immédiatement statuer sur le tout. L’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats, par décision du tribunal”.

L’article 907 (N° Lexbase : L0389IGI), propre à la procédure ordinaire devant la cour d’appel avec représentation obligatoire, dispose que : ”A moins qu’il ne soit fait application de l’article 905 (N° Lexbase : L7288LEN), l’affaire est instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée, dans les conditions prévues par les articles 763 (N° Lexbase : L6984H7S) à 787 et sous réserve des dispositions qui suivent”.

L’article 784 (N° Lexbase : L7022H79) applicable à la procédure devant le tribunal de grande instance a donc vocation à s’appliquer dans le cadre de la procédure ordinaire avec représentation obligatoire devant la cour d’appel par renvoi exprès de l’article 907.

C’est donc bien, à l’instar du juge de la mise en état, au conseiller de la mise en état que revient le pouvoir de révoquer l’ordonnance de clôture de l’instruction. Pour autant, à lire les dispositions de l’article 784, alinéa 3, le juge de la mise en état, dont les pouvoirs sont repris par le conseiller de la mise en état via les dispositions de l’article 907, voit ses prérogatives cesser après l’ouverture des débats.

Cela signifie que lorsque les débats sont rouverts, le juge de la mise en état ou le conseiller de la mise en état, n’a plus pouvoir pour rendre une ordonnance de révocation de clôture, seule la formation du tribunal ou de la cour le pouvant.

L’arrêt (n° 17-11.284) rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 1er mars 2018 ne donne pas une solution contraire.

Le problème qui se posait dans cette affaire était de savoir si la formation collégiale de la cour d’appel pouvait remettre en cause une décision de révocation de clôture rendue par le conseiller de la mise en état.

La formation de la cour n’avait pas, dans cette espèce, statué à la place du conseiller de la mise en état. Elle avait statué sur recours formé contre l’ordonnance de révocation rendue par ce conseiller.

Là encore, il ne faut pas se méprendre. La décision de révocation de l’ordonnance de clôture, rendue en première instance par le juge de la mise en état, ne peut donner lieu à un recours qu’avec le jugement sur le fond (1). En pareille hypothèse, la cour a le pouvoir de statuer sur une telle ordonnance avec le jugement rendu sur le fond. L’ordonnance ne peut être attaquée indépendamment du jugement rendu sur le fond.

Ainsi, imaginons une procédure devant le tribunal. Une des parties obtient la clôture de l’instruction avant que son adversaire ait conclu, ce qui le rend irrecevable à conclure. La partie obtient une révocation, par ordonnance non motivée sur une cause grave, laquelle ordonnance n’est pas susceptible d’un recours autonome. Un appel avec le jugement sur le fond est possible. La cour peut donc statuer.

La nullité de l’ordonnance entraînerait l’annulation du jugement.

En appel, une révocation non motivée devrait permettre d’aller en cassation et obtenir par voie de conséquence l’annulation de l’arrêt.

C’est bien ce qu’ont rappelé la première chambre civile et la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans deux arrêts non publiés au bulletin rendus respectivement les 1er et 8 juin 2017 (2).

L’ordonnance de révocation de clôture rendue par le conseiller de la mise en état ne peut cependant faire l’objet d’une voie de recours devant la formation collégiale de la cour.

La deuxième chambre civile avait déjà rappelé ce principe en février 2001 : la décision par laquelle le conseiller de la mise en état révoque l’ordonnance de clôture ne tranche aucune contestation et relève de son pouvoir propre ; elle ne peut dès lors être remise en cause devant la formation collégiale de la cour d’appel (3).

Les parties ne peuvent pas plus se réfugier vers la voie du déféré régi par les dispositions de l’article 916, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7248LE8) : l’ordonnance de révocation de clôture de l’instruction ne fait pas partie des décisions susceptibles d’un tel recours.

La décision rendue le 1er mars 2018 est donc conforme à la jurisprudence antérieure de la deuxième chambre civile ainsi qu’aux textes qui régissent la matière.

 

II — La décision de révocation de l’ordonnance de clôture exige l’existence d’une cause grave ainsi que la réouverture des débats

L’on sait que la révocation de l’ordonnance de clôture d’instruction doit être motivée par l’existence d’une cause grave depuis que cette dernière a été rendue. Le premier alinéa de l’article 784 le prévoit expressément.

La deuxième chambre civile rappelle dès le début de son arrêt (n° 16-27.592) cette importante condition, sous le visa de l’article précité.

Plusieurs juridictions de fond ont eu en effet tendance à ne pas se préoccuper de cette condition essentielle, ce qui a conduit systématiquement à la cassation de leur décision par les différentes chambres de la Cour de cassation.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a cassé un arrêt qui avait cru pouvoir refuser d’accueillir une demande de révocation au motif qu’une demande d’intervention volontaire formée après l’ordonnance de clôture serait recevable sans qu’il y ait lieu à révocation.

En se déterminant ainsi sans s’expliquer sur les causes graves invoquées à l’appui de la demande de révocation, la cour d’appel avait ainsi privé sa décision de base légale (4).

L’arrêt qui retient, pour ordonner la révocation d’une ordonnance de clôture, que la partie ayant demandé le rejet des conclusions régularisées postérieurement à cette clôture n’arguait aucun grief causé par ces écritures, a été cassé par la troisième chambre civile : en statuant ainsi, sans relever l’existence d’une cause grave survenue depuis l’ordonnance de clôture justifiant sa révocation, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision (5).

La jurisprudence de la Cour de cassation est clairement établie dans ce sens et est constante (6).

Au-delà, dans l’arrêt commenté, la deuxième chambre civile marque, une fois encore, son attachement au respect du principe du contradictoire.

L’article 16 est posé comme visa dans le chapeau de sa décision à côté de l’article 784 précité.

En l’espèce, l’arrêt d’appel attaqué avait ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture qui avait été ordonnée, fixé la nouvelle clôture de l’instruction au jour des débats et confirmé l’ordonnance rendue par un président de tribunal de commerce, sur le fondement des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49), et ayant autorisé la désignation d’un huissier de justice pour opérer des mesures d’instruction de constat dans le cadre d’un dossier de concurrence déloyale.

L’existence d’une cause grave n’était pas en débat car vraisemblablement démontrée au soutien de la demande de révocation.

La difficulté fut que la cour d’appel ordonna la révocation de l’ordonnance de clôture puis qu’elle statua contre la décision de première instance attaquée sans que les débats ne fussent réouverts.

L’ordonnancement procédural doit, en principe, être le suivant :

— si la demande de révocation intervient avant la clôture des débats, elle est soit du seul pouvoir du conseiller de la mise en état si cette demande intervient avant leur ouverture, soit du seul pouvoir de la formation collégiale de la cour si elle intervient après. La cour n’aurait donc pu statuer en l’espèce si la demande de révocation avait été antérieure à l’ouverture des débats [cf. développements au 1) supra] ;

— si la demande de révocation intervient après la clôture des débats, la cour conserve son pouvoir de révocation mais doit réouvrir les débats.

C’est le principe rappelé par la deuxième chambre civile dès le début de son arrêt : ”Attendu que lorsque le juge révoque l’ordonnance de clôture, cette décision, qui doit être motivée par une cause grave, doit intervenir avant la clôture des débats ou, sinon, s’accompagner d’une réouverture de ceux-ci, de sorte qu’une même décision ne peut simultanément révoquer l’ordonnance de clôture et statuer sur le fond du litige”.

La cour ne pouvait ainsi se contenter de statuer au fond tout en révoquant l’ordonnance de clôture alors que la demande de révocation avait été formulée postérieurement à la clôture des débats, donc après l’audience des plaidoiries.

Les parties ont été privées de la possibilité d’échanger contradictoirement sur les pièces qui ont pu être produites postérieurement à la clôture de l’instruction du fait de la révocation de l’ordonnance de clôture. Il n’y a, en effet, eu aucun débat en audience sur ces nouvelles pièces.

La censure était imparable au regard du principe posé par les deux premiers alinéas de l’article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q) : ”le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement”.

Le mépris de l’obligation de rouvrir les débats en pareille circonstance a déjà été censuré par la Cour de cassation, notamment par ses deuxième (7) et troisième (8) chambres civiles ainsi que par ses chambres commerciale (9) et sociale (10). La deuxième décision commentée, en date du 1er mars 2018, repose donc sur une position très solide.

 


 

(1) Cass. civ. 2, 19 février 1975, n° 73-11.019 (N° Lexbase : A1012CIC), Bull. civ. II, n° 55.

(2) Cass. civ. 1, 1er juin 2017, n° 16-20.144, F-D (N° Lexbase : A2691WGR) ; Cass. civ. 1, 1er juin 2017, n° 16 -20.144, F-D (N° Lexbase : A2691WGR) ; Cass. com., 8 juin 2017, n° 14-20.783, F-D N° Lexbase : A4215WHL).

(3) Cass. civ. 2, 15 février 2001, n° 99-12.664 (N° Lexbase : A3880AR7), Bull. civ. II, n° 30.

(4) Cass. civ. 2, 16 décembre 2010, n° 09-17.045, F-P+B (N° Lexbase : A2451GN4).

(5) Cass. civ. 3, 30 janvier 2013, n° 11-21.652, FS-D (N° Lexbase : A6218I43).

(6) Cass. civ. 2, 3 juillet 2014, n° 13-20.170, F-D (N° Lexbase : A2816MTH) ; Cass. soc., 19 -11-2014, n° 13-20.566, F-D (N° Lexbase : A9259M3C) ; Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n° 14 -29.962, F-D (N° Lexbase : A3411N7H) ; Cass. civ. 3, 12 mai 2016, n° 15-10.314, F-D (N° Lexbase : A0888RPL) ; Cass. com., 1er mars 2017, n° 15-24.643, F-D (N° Lexbase : A9992TRI).

(7) Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n° 14-29.962, F-D (N° Lexbase : A3411N7H).

(8) Cass. civ. 3, 12 mai 2016, n° 15-10.314, F-D (N° Lexbase : A0888RPL).

(9) Cass. com., 1er mars 2017, n° 15-24.643, F-D (N° Lexbase : A9992TRI).

(10) Cass. soc., 19 novembre 2014, n° 13-20.566, F-D (N° Lexbase : A9259M3C).