Lexbase La lettre juridique n°722 du 7 décembre 2017

Réf. : Cass. civ. 2, 16 novembre 2017, n° 16-24.864, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1935WZP)

La loi n’impose pas aux parties de limiter la taille de leurs envois à la juridiction ou de transmettre un acte de procédure en plusieurs envois scindés. Telle est la solution d’un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 16 novembre 2017.

Un problème de construction est à l’origine de la décision rendue. Les plaignants de désordres sur les constructions qu’ils avaient faites bâtir ont saisi un tribunal de grande instance de diverses demandes contre le maître d’oeuvre, l’entrepreneur et les compagnies d’assurances respectives de chacune des parties ainsi assignées. Les demandeurs ont par la suite interjeté appel du jugement rendu qui n’avait accueilli qu’une partie de leurs demandes.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence rendit deux arrêts, l’un le 31 mars 2016, l’autre le 29 septembre 2016 (CA Aix-en- Provence, 29 septembre 2016, n° 14/09 921 N° Lexbase : A2864R4T).

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation écarta le premier moyen du pourvoi principal dirigé contre le premier arrêt en ce qu’il fut jugé pour partie irrecevable et, pour le surplus, en ce qu’il ne fut manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Le second moyen, dirigé contre l’arrêt du 29 septembre 2016, fut en revanche retenu.

L’arrêt attaqué avait retenu que la déclaration d’appel des appelants était caduque, rappelant les dispositions de l’article 930-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7249LE9), considérant que le fait pour ces derniers de ne pas avoir remis leurs conclusions par la voie électronique du fait de leur taille supérieure à la limite imposée par le système ne constituait pas une cause étrangère imprévisible et irrésistible, dès lors que cet obstacle pouvait être surmonté en scindant l’envoi en plusieurs messages successifs ayant le même objet, modalités compatibles avec le respect des dispositions de l’article 954 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7253LED). La cour d’appel considéra ainsi que les conclusions, sur support papier, remises au greffe par les appelants, étaient irrecevables et qu’il n’y avait eu aucune remise par la voie électronique dans le délai de trois mois de la déclaration d’appel, d’où sa caducité par application des dispositions de l’article 908 (N° Lexbase : L7239LET).

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation cassa cet arrêt, estimant qu’aucune disposition n’impose aux parties de limiter la taille de leurs envois à la juridiction ou de transmettre un acte de procédure en plusieurs envois scindés.

La notion de ”communication électronique” a été introduite en droit français par la loi du 9 juillet 2004 (loi n° 2004- 669 du 9 juillet 2004, relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle N° Lexbase : L9189D7H) et en procédure civile par le décret du 28 décembre 2005 (décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 N° Lexbase : L3298HEU) qui a créé, dans notre code, un titre 21ème comprenant, désormais, les articles 748-1 (N° Lexbase : L0378IG4 à 748-9 du Code de procédure civile.

L’arrêt commenté a trait à la procédure avec représentation obligatoire, la procédure sans représentation obligatoire étant régie par un arrêté du 5 mai 2010, relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d’appel (N° Lexbase : L3316IKZ) qui ne traite que de la déclaration d’appel, de la constitution et des pièces qui leur sont associées.

Il convient de revenir sur le régime du caractère obligatoire de la communication électronique dans le cadre de cette procédure d’appel avec représentation obligatoire (1) avant d’examiner le cas spécifique posé s’agissant de l’application ou non de la cause étrangère (2).

 

I — Le régime de la communication électronique obligatoire entre les parties et la cour d’appel

L’article 930-1, alinéas 1 et 3, du Code de procédure civile dispose :

”A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique” (alinéa 1).

”Les avis, avertissements ou convocations sont remis aux avocats des parties par voie électronique” (alinéa 3).

Il existe donc une obligation pesant tant sur les parties que sur la juridiction d’appel.

S’agissant du champ d’application de ce texte, sont visés d’abord les actes de procédure qui sont destinés à la cour d’appel et qui doivent s’entendre stricto sensu, c’est-à-dire comme les actes de nature à faire progresser le litige : il en est ainsi principalement, depuis le 1er janvier 2011, de la déclaration d’appel et de la constitution d’avocat et, depuis le 1er janvier 2013, des conclusions.

Les pièces, qui ne sont pas des ”actes” de procédure, n’entrent donc pas dans le champ d’application du texte : elles peuvent toutefois être remises à la cour d’appel sous forme électronique, ainsi que le prévoit l’article 2 d’un arrêté du 30 mars 2011 modifié (N° Lexbase : L9025IPX), étant rappelé que, en application de l’article 912, alinéa 3, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7245LE3), les dossiers, comprenant les copies des pièces visées dans les conclusions et numérotées dans l’ordre du bordereau récapitulatif, sont ”déposés” à la cour quinze jours avant la date fixée pour l’audience de plaidoiries.

La remise des actes de procédure par les parties s’opère, pour les avocats, via le RPVA.

De manière singulière, l’envoi des actes par la cour d’appel n’est pas considéré comme signé électroniquement, le décret du 29 avril 2010 (N° Lexbase : L0190IHI) ne concernant que les auxiliaires de justice et le ministère public, alors que l’avis de réception émis par la juridiction d’appel destinataire d’actes tient lieu de signature en vertu, cette fois, de l’article 748-3, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5854ICS).

S’agissant de la sanction attachée à l’article 930-1, en ce qu’elle a trait à l’obligation pesant tant sur les avocats que sur le ministère public, il s’agit d’une irrecevabilité relevée d’office par le juge.

L’enjeu est de taille car il en va de la caducité ou non de la déclaration d’appel.

L’article 908 du Code de procédure dispose en effet qu’à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour conclure.

Si les conclusions d’appel sont considérées comme irrecevables parce que non communiquées par la voie électronique dans ledit délai, la déclaration d’appel devient consécutivement caduque.

Le couperet est donc imparable en cas de non communication électronique des conclusions dans le délai de trois mois.

L’article 911-1, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0165IPS), dispose que ”la caducité de la déclaration d’appel en application des articles 902 (N° Lexbase : L7237LER) et 908 (N° Lexbase : L7239LET) ou l’irrecevabilité des conclusions en application des articles 909 (N° Lexbase : L7240LEU) et 910 (N° Lexbase : L7241LEW) sont prononcées par ordonnance du conseiller de la mise en état qui statue après avoir sollicité les observations écrites des parties”.

La question se pose alors de savoir qui du conseiller de la mise en état ou de la cour devait relever d’office l’irrecevabilité.

Dans la décision commentée, il s’agit d’un arrêt rendu le 29 septembre 2016 par la cour d’appel de d’Aix-en-Provence qui a fait l’objet d’une cassation partielle.

Cet arrêt avait déclaré caduque la déclaration d’appel du fait de la non remise dans le délai de trois mois de sa date des conclusions d’appel.

Selon l’article 914 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7247LE7), lorsqu’il est désigné et jusqu’à son dessaisissement, le conseiller de la mise en état est seul compétent pour prononcer la caducité de l’appel, pour déclarer l’appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l’appel ou pour déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910, de sorte que ce texte ne prévoit pas spécifiquement la compétence du conseiller de la mise en état pour déclarer irrecevables des actes de procédure qui n’ont pas été remis à la cour d’appel par voie électronique.

En l’espèce, est-ce la formation de la cour qui a directement statué sur la caducité de l’appel via l’irrecevabilité des conclusions des appelants déposées tardivement ou est-ce que cette formation de la cour est intervenue sur procédure de déféré telle que prévue par l’article 916 (N° Lexbase : L7248LE8) ?

L’arrêt commenté ne le précise pas.

La seconde hypothèse nous paraîtrait plus cohérente car la décision a in fine tranché le point crucial de la caducité de la déclaration d’appel, qui est du ressort du conseiller de la mise en état, non de la cour, même si de cette caducité dépendait seulement l’examen de l’irrecevabilité des conclusions d’appel pour défaut de communication électronique dans le délai de l’article 908.

Il n’en demeure pas moins que juger la caducité ou la non caducité de la déclaration d’appel nécessitait préalablement de répondre à la seule question de la reconnaissance de la cause étrangère pour sauver, ou non, le plaideur d’une non communication électronique de ses conclusions à temps.

 

II — La cause étrangère, version allégée

La dématérialisation présente des avantages certains pour les praticiens en termes de temps et de coût.

Les contraintes de la procédure d’appel avec représentation obligatoire croissent cependant avec le caractère obligatoire de la communication par la voie électronique des actes de procédure.

Les sanctions sont lourdes en cas de non-respect et les incertitudes juridiques en la matière entament les bienfaits de la communication électronique.

Les frayeurs des praticiens ne cessent de s’alourdir.

Fort heureusement, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, depuis un certain temps, fraie un chemin au plaideur dans ce dédale de ronces processuelles.

Dans le cas présent, ce chemin est quelque peu élargi par une solution rassurante tenant à donner à la cause étrangère une dimension allégée.

Elle est expressément prévue, de manière générale, par l’article 748-7 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0423IGR) : ”Lorsqu’un acte doit être accompli avant l’expiration d’un délai et ne peut être transmis par voie électronique le dernier jour du délai pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit, le délai est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable Elle est prévue, de manière spéciale, en matière de communication électronique obligatoire en appel, par l’article 930-1, alinéas 2 et 3 (N° Lexbase : L7249LE9) : ”lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe. En ce cas, la déclaration d’appel est remise au greffe en autant d’exemplaires qu’il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l’un est immédiatement restitué.

Les avis, avertissements ou convocations sont remis aux avocats des parties par voie électronique, sauf impossibilité pour cause étrangère à l’expéditeur. Les avis, avertissements ou convocations sont remis aux avocats des parties par voie électronique, sauf impossibilité pour cause étrangère à l’expéditeur”.

Le texte évoque la cause étrangère à celui qui accomplit l’acte mais ne dispose pas que cette cause étrangère doive revêtir les caractères de la force majeure.

Seule la condition d’extériorité paraîtrait alors exigée, à l’exclusion de celles d’imprévisibilité et d’irrésistibilité requises habituellement en plus pour asseoir la notion de force majeure.

C’est d’ailleurs en ce sens que la Chancellerie semblait, s’agissant de la cause étrangère, avoir interprété l’article 930-1 dans sa circulaire DACS du 31 janvier 2011 (1) : ”il ne s’agit toutefois pas de pallier une négligence imputable à l’auteur de l’acte mais un dysfonctionnement dans le dispositif d’émission, de transmission ou de réception”.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans son arrêt cassé, retint les critères de la force majeure comme devant être justifiés : ”imprévisible et irrésistible”.

La cour d’appel, dans une motivation compréhensible, n’estimait pas insurmontable le fait de ne pouvoir communiquer un fichier lourd en une seule fois pour respecter le délai prévu à l’article 908 : il suffisait en effet de scinder les envois qui pouvaient être successifs, ce que les moyens techniques permettent, en l’état, de faire au regard des dispositions de l’article 954 du Code de procédure civile.

Si l’arrêt précité n’a pas été cassé expressément du fait de l’assimilation de la notion de cause étrangère à celle de force majeure, la cassation est intervenue parce que l’arrêt d’appel a estimé que l’auteur de l’acte pouvait procéder à plusieurs envois scindés et successifs alors que la loi n’exige pas des parties qu’elles limitent la taille de leurs envois à la juridiction ou qu’elles transmettent un acte de procédure en plusieurs envois scindés.

Le texte de l’article 930-2 n’édicte, par ailleurs, pas que la cause étrangère doit revêtir les caractéristiques de la force majeure.

L’arrêt commenté ne le précise pas mais il convient, à notre sens, de ne pas éluder cet argument.

La Cour de cassation, en constatant l’absence d’exigence légale de vérifier le poids des documents envoyés et de les envoyer de manière scindée, confirme indirectement que les conditions d’imprévisibilité et d’irrésistibilité n’ont pas à être remplies, seule la condition d’extranéité suffisant pour caractériser la notion de cause étrangère visée à l’article 930-1, alinéa 2.

A défaut, le caractère irrésistible ou insurmontable aurait mis un obstacle à ce que la cause étrangère fût retenue puisqu’il suffisait au conseil de l’appelant de séquencer ses envois de conclusions, par tranches.

De la même manière, le caractère d’imprévisibilité ne pouvait être reçu car l’on sait que la capacité d’envoi des fichiers par le biais du RPVA est limitée à 4 mégaoctets.

Cette limitation n’est pourtant pas du fait des praticiens avocats et la loi ne prévoit pas qu’ils doivent s’en accommoder en scindant leurs envois.

Imposer une telle mesure exigerait des praticiens de s’y prendre à l’avance pour scinder l’envoi de leurs fichiers et cela reviendrait alors à réduire le délai de trois mois de l’article 908 dont ils bénéficient puisque ce délai en mois expire le jour du dernier mois qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de la décision ou de la notification qui le fait courir, ce à vingt-quatre heures.

L’avantage d’une communication électronique est justement de faciliter les envois, quelle que soit l’heure, pourvu que l’horaire légal soit respecté, nonobstant l’obstacle de fermeture du greffe.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé à cet égard que dans le cadre de la procédure d’appel avec représentation obligatoire, l’obligation de communiquer par voie électronique les conclusions de l’appelant au greffe dans le délai légal de trois mois est respectée dès lors que ces écritures sont parvenues au greffe dans ce délai, nonobstant un avis de refus.

Ainsi l’envoi par l’appelante au greffe du fichier contenant ses conclusions, selon les règles de la communication par voie électronique, effectué dans le délai de trois mois de la déclaration d’appel, et parvenu au greffe ainsi que l’établissait l’avis de refus, valait à son égard remise au greffe.

La réception est donc acquise dès lors que l’on prouve une réception du support via un avis de refus, ce qui peut être le cas lors de la fermeture du greffe.

De deux choses l’une, donc : soit la technologie progresse pour s’adapter à des envois de fichiers nécessairement lourds dans certains dossiers complexes, soit le caractère obligatoire de la communication électronique cède la place au bon sens qui ne doit pas imposer ce qui n’est pas à imposer et qui ne l’est d’ailleurs pas textuellement, fort heureusement.

Un appel d’air est, par la solution rendue, fort heureusement donné aux praticiens.

Il faudra dès lors retenir que la démonstration de la cause étrangère peut être accueillie lorsqu’il n’y a pas de possibilité d’envoyer des fichiers trop lourds du fait de la non adaptation du système (limitation à quatre mégaoctets).

Dans ce cas, le remède prévu par les dispositions de l’article 930-1, alinéas 2 et 3, pourra être utilisé : support papier en autant d’exemplaires qu’il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l’un est immédiatement restitué.

La remise ne peut toutefois se faire par pli recommandé avec accusé de réception. La sanction serait alors l’irrecevabilité de l’acte.

Il importe pour le justiciable, dans le respect de ses droits, que trois objectifs soient remplis : la durée du procès ne doit pas être excessive, le procès doit conserver une dimension humaine et respecter les règles de procédures applicables, en ce compris les principes fondamentaux qui les gouvernent.

La communication électronique doit donc être poursuivie via une amélioration des technologies afin de la rendre plus sécurisée et efficiente, sans pour autant devenir une contrainte supplémentaire : ”C’est tout le mal de la communication électronique qui devait être un bienfait. L’erreur est de la rendre obligatoire au lieu de se contenter de l’autoriser” (4).

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation aide une fois encore en ce sens et l’arrêt commenté le démontre.

 


 

(1) Circulaire DASC du 31 janvier 2011 JUSC1 033 672C.
(2) C. pr. civ., art. 641 (N° Lexbase : L6802H73) et 642 (N° Lexbase : L6803H74).
(3) Cass. civ. 2, 24 septembre 2015, n° 14-20.212, FS-P+B (N° Lexbase : A8463NP7) et lire nos obs, in Lexbase, éd. prof., n ° 203, 2015 (N° Lexbase : N9642BUN).
(4) H. Croze, Irrecevabilité des conclusions pour violation d’une convention de procédure, JCP éd. G, 2012, 1394.