Lexbase Hebdo édition professions n°255 du 4 janvier 2018

Réf. : Cass. civ. 1, 6 décembre 2017, n° 16-26.784, FS-P+B (N° Lexbase : A1271W79)

La Cour de cassation retient, dans un arrêt du 6 décembre 2017, que le tiers Bâtonnier n’est pas saisi par la réception de la décision le désignant mais est saisi, soit par requête déposée contre récépissé au secrétariat de l’Ordre des avocats au barreau dont le Bâtonnier désigné est membre, soit par lettre recommandée avec accusé de réception à lui adressée.

Un avocat associé au sein d’une structure inter-barreaux (en l’espèce Lille et Paris) a été révoqué par décision d’une assemblée générale extraordinaire des associés composant le capital de ladite structure.

L’associé ainsi évincé a saisi par voie de requête le Bâtonnier de l’Ordre des avocats au barreau de Lille du différend l’opposant à la société et aux avocats associés.

Par application des dispositions des articles 179-1 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), les Bâtonniers de l’Ordre des avocats aux barreaux de Lille et de Paris ont désigné le Bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Rouen pour régler le différend.

Cette décision de désignation, en date du 7 juillet 2015, fût reçue le 10 juillet suivant. Par décision du 4 janvier 2016, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats au barreau de Rouen a prorogé jusqu’au 10 mars 2016 le délai qui lui était imparti pour statuer et a fixé un calendrier de procédure.

La société d’avocats concernée et son gérant interjetèrent un appel nullité à l’encontre de cette décision, soutenant que le Bâtonnier tiers était dessaisi et n’avait pas qualité pour statuer, dès lors que sa saisine était intervenue le 10 juillet 2015, par désignation.

L’arrêt de la cour d’appel de Rouen rendu le 28 septembre 2016 (CA Rouen, 28 septembre 2016, n° 16/02 362 N° Lexbase : A5543R7G ; cf. l’Encyclopédie ”La profession d’avocat” N° Lexbase : E1767E7L) rejeta cette demande d’annulation.

Les appelants, ayant ainsi succombé, formèrent un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt, soutenant en substance que, lorsqu’un différend d’ordre professionnel nait entre avocats relevant de différents barreaux, l’avocat le plus diligent saisit son Bâtonnier qui doit s’accorder avec celui de l’avocat défendeur sur la désignation d’un Bâtonnier tiers et que ce Bâtonnier tiers est saisi à réception de la décision le désignant.

Ainsi, selon les demandeurs au pourvoi, en déclarant que le tiers Bâtonnier n’avait pas été saisi le 10 juillet 2015 à réception de sa désignation mais le 8 octobre 2015, à réception des prétentions de la requérante, la cour d’appel aurait violé les articles 179-2 et 179-5 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d’avocat.

Le pourvoi fût rejeté.

La première chambre civile de la Cour de cassation estima, par un attendu de principe, que le Bâtonnier d’un barreau tiers, désigné en application de l’article 179-2, alinéa 3, du décret du 27 novembre 1991, est saisi, conformément à l’article 142 du même décret, par l’une ou l’autre des parties, soit par requête déposée contre récépissé au secrétariat de l’Ordre des avocats au barreau dont le Bâtonnier désigné est membre, soit par lettre recommandée avec accusé de réception à lui adressée.

Dès lors, selon la première chambre civile, il résulte des dispositions de l’article 179-5 du décret précité que le Bâtonnier rend sa décision dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, susceptible de prorogation.

Ainsi, la cour d’appel en a justement déduit, selon la Cour de cassation, que le Bâtonnier tiers avait été saisi à la date de réception de la requête de la plaignante, soit le 8 octobre 2015, de sorte que sa décision du 4 janvier 2016 était bien intervenue dans le délai de quatre mois imparti.

La solution de principe ainsi rendue a le mérite d’être claire et il est normal, au regard de la jurisprudence des juridictions de fond rendue en la matière et de l’articulation des textes applicables, que la cour d’appel de Rouen ait en amont statué en ce sens.

L’article 142 du décret du 27 novembre 1991 s’insère dans la section IV du chapitre II du titre I qui est intitulé ”Modalités particulières d’exercice de la profession”, qui traite dans sa section I de l’association, dans sa section II de la collaboration et dans sa section III du salariat.

Cet article dispose : ”Pour tout litige né à l’occasion d’un contrat de collaboration ou d’un contrat de travail, à défaut de conciliation, le Bâtonnier du barreau auprès duquel l’avocat collaborateur ou salarié est inscrit est saisi par l’une ou l’autre des parties, soit par requête déposée contre récépissé au secrétariat de l’Ordre des avocats, soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. L’acte de saisine précise, à peine d’irrecevabilité, l’objet du litige, l’identité des parties et les prétentions du saisissant”. En conséquence, les articles 142 à 153 du décret s’appliquent au règlement des litiges nés à l’occasion des trois modalités d’exercice de la profession prévues au chapitre II dans lequel est insérée la section IV qui les comprend.

Or, le chapitre III, relatif aux règles professionnelles en général, ne concerne pas les différends nés à l’occasion des modalités particulières d’exercice de la profession visées au chapitre II précité, ce que rappelait la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 18 octobre 2017 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 18 octobre 2017, n° 15/18 397 N° Lexbase : A9948WWD).

En l’espèce, il s’agit d’un différend entre un associé, la structure au sein de laquelle il exerce et ses autres associés. Il ne s’agit pas d’un différend entre un collaborateur et la structure. Les articles 179-1 et suivants prévoient une procédure spécifique au titre du règlement des différends entre avocats à l’occasion de leur exercice professionnel, l’article 179-2 prévoyant en cas de différend opposant des avocats de barreaux différents une procédure de désignation du Bâtonnier d’un barreau tiers. L’article 179-4 dispose par ailleurs, sans la moindre ambiguïté, que ”les règles prévues aux articles 142 à 148 et 150 à 152 sont applicables aux différends régis par la présente section”.

Ainsi, le mode de saisine de l’article 142, bien que dépendant d’une section et d’un chapitre distinct et concernant un litige né à l’occasion d’un contrat de collaboration, a vocation, selon les termes de l’article 179-4, à s’appliquer dans le cadre d’un litige entre associés.

La jurisprudence a rappelé que les articles 179-1 et suivants du décret du 27 novembre 1991 prévoyant les règles applicables au règlement des différends entre avocats à l’occasion de leur exercice professionnel constituent un corps de règles spécifiques et d’ordre public, obéissant à un régime propre (cf. notamment CA Paris, Pôle 1, 5ème ch., 21 mars 2013, n° 13/00 147 N° Lexbase : A7246KAM ; cf. l’Encyclopédie ”La profession d’avocat” N° Lexbase : E0082EUL).

Les modalités de saisine prévues à l’article 142, applicable, sont précises.

Il ne peut s’agir que, soit d’une requête déposée contre récépissé au secrétariat de l’Ordre des avocats, soit d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

L’acte de saisine précise, à peine d’irrecevabilité, l’objet du litige, l’identité des parties et les prétentions du saisissant.

Il ne fallait donc pas confondre la désignation du Bâtonnier tiers avec l’acte de sa saisine. Une décision de désignation, fût-elle exécutoire et reçue par le Bâtonnier ainsi désigné, ne vaut pas acte de saisine de ce dernier.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la plaignante avait pris soin de régulariser une requête de saisine du Bâtonnier tiers en date du 8 octobre 2015, après la décision de désignation qui datait du 7 juillet 2015 et qui avait été reçue le 10 juillet suivant.

L’article 179-5 du décret donne au Bâtonnier désigné un délai de quatre mois pour rendre sa décision.

Ce même article dispose que ce délai ne court qu’à compter de sa saisine. A aucun endroit de ce texte figure le vocable ”désignation”.

La cour d’appel de Rouen avait donc, à bon droit, rejeté l’appel nullité qui amalgamait décision de désignation et acte de saisine.

Au-delà, il est permis de s’étonner de la recevabilité d’une saisine assimilée à la décision de désignation du Bâtonnier tiers : les mentions requises à peine d’irrecevabilité par l’alinéa 2 de l’article 142, à savoir l’objet du litige, l’identité des parties et les prétentions du saisissant, sont-elles contenues en leur intégralité dans une telle décision ?