Lexbase Hebdo édition privée n˚620 du 9 juillet 2015

Réf. : Cass. civ. 2, 4 juin 2015, n˚ 14-10.548, F-P+B (N° Lexbase : A2279NKM)

Dans le cadre de la procédure d’appel avec représentation obligatoire, les parties peuvent conclure jusqu’à la clôture de l’instruction, même en l’absence de calendrier de procédure fixé par le conseiller de la mise en état après le respect des délais pour conclure et communiquer les pièces. Sous le visa de l’article 912 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0366ITQ), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, à travers un arrêt du 4 juin 2015, vient apporter une précision importante dans le cadre des échanges d’écritures et de pièces qui suivent les délais légaux pour conclure et communiquer avant la clôture de l’instruction.

Il s’agit d’un arrêt de cassation.

Dans le cadre d’un litige successoral, Mme Z a fait assigner ses frères devant un tribunal de grande instance. Un jugement a ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage et fixé la valeur des divers biens composant la succession. Mme Z a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 13 décembre 2012, a conclu le 11 mars 2013 au soutien de son appel, puis le 12 juillet 2013 en réponse aux conclusions des intimés et d’appel incident régularisées le 13 mai 2013. Elle a de nouveau conclu les 27 et 30 septembre 2013.

Les dernières conclusions de Mme Z furent jugées irrecevables, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-enProvence, 12 novembre 2013, n˚ 12/23 460 N° Lexbase : A3641KPK) estimant qu’en vertu de l’article 912, alinéa 2, du Code de procédure civile, ce n’est que dans l’hypothèse où l’affaire nécessite de nouvelles conclusions que le conseiller de la mise en état en fixe le calendrier, après avoir recueilli l’avis des parties et que, n’ayant pas répondu au conseiller de la mise en état qui demandait aux parties si elles sollicitaient un calendrier en vue d’un nouvel échange de conclusions, Mme Z n’avait plus la possibilité de prendre de nouvelles écritures après l’échange de conclusions prévu par les articles 908 (N° Lexbase : L0162IPP) à 910.

L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, rendu le 12 novembre 2013, fût cassé en toutes ses dispositions, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne voyant comme butoir aux échanges de conclusions que la clôture de l’instruction : « qu’en statuant ainsi, alors qu’en l’absence de calendrier de procédure fixé par le conseiller de la mise en état à l’occasion de l’examen de l’affaire auquel il procède après l’expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces, les parties peuvent, jusqu’à la clôture de l’instruction, invoquer de nouveaux moyens et conclure à nouveau, la cour d’appel a violé le texte sus-visé »

Les textes du Code de procédure civile, issus de la réforme dite « Magendie » régissant la procédure d’appel avec représentation obligatoire ont donné lieu à beaucoup de jurisprudence et de débats tant les sanctions y sont constitutives de couperets pour les plaideurs et tant, face à ces couperets, les incertitudes inhérentes à une clarification textuelle non aboutie demeurent.

Si la solution peut se justifier en ce qu’elle tient à l’absence d’irrecevabilité de conclusions régularisées hors champ des délais légaux après que ces derniers eussent été respectés lors des premiers échanges d’écritures et communications de pièces (I), la décision commentée pourrait susciter, en apparence, parce qu’elle n’en émet pas, une certaine réserve au regard des principes du contradictoire et de la loyauté processuelle (II).

I — Non au couperet imprévu

Les délais prévus textuellement en matière d’échanges de conclusions et de communication de pièces ont suffisamment fait, et le font encore, frémir les praticiens. Faut-il en rajouter ?

A — Les couperets prévus

A peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de sa déclaration d’appel pour conclure. L’article 908 du Code de procédure civile prévoyant cette règle est effectivement très dangereux pour l’appelant car, si la nullité de la déclaration d’appel permet à l’appelant de rebondir par le jeu des règles en matière d’interruption des délais de forclusion dont font partie les délais de procédure, ce qu’a récemment indiqué la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, la caducité ne parait pas avoir les mêmes vertus.

Littéralement, la caducité devrait être écartée de ce champ interruptif de prescription et de forclusion. En effet, contrairement à la nullité, la caducité prive d’effet un acte qui a déjà été régulièrement formé. L’acte devenant caduc perd ses effets. C’est ainsi que l’assignation jugée caduque a été considérée comme non interruptive du délai de prescription (2).

L’article 385 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2273H4X) dispose par ailleurs : « ‘instance s’éteint à titre principal par l’effet de la péremption, du désistement d’instance ou de la caducité de la citation. Dans ces cas, la constatation de l’extinction de l’instance et du dessaisissement de la juridiction ne met pas obstacle à l’introduction d’une nouvelle instance, si l’action n’est pas éteinte par ailleurs ».

Gare donc au respect du délai de trois mois imparti à l’appelant pour conclure à compter de sa déclaration d’appel…

Les articles 909 (N° Lexbase : L0163IPQ) et 910 (N° Lexbase : L0412IGD) du Code de procédure civile sont également dissuasifs, pour l’intimé et l’intervenant forcé, de tout laxisme. L’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour conclure et former, le cas échéant, appel incident (C. proc. civ., art. 909). L’intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de deux mois à compter de la notification qui lui est faite pour conclure (C. proc. civ., art. 910, alinéa 1). L’intervenant forcé à l’instance d’appel dispose, quant à lui, également à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande d’intervention formée à son encontre lui a été notifiée pour conclure (C. proc. civ., art. 910, alinéa 2).

L’article 911 (N° Lexbase : L0351IT8) prévoit la même sanction d’irrecevabilité, par renvoi aux articles 908 à 910, lorsque les conclusions ne sont pas notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour et lorsqu’elles ne sont pas signifiées dans le mois suivant ce délai aux parties qui n’ont pas constitué.

B — Les sueurs froides de l’imprécision

Il n’est pas inutile de rappeler la frayeur des plaideurs face aux dispositions de l’article 906 (N° Lexbase : L0367ITR) prévoyant une notification des conclusions simultanément à la communication des pièces, la Cour de cassation ayant fort heureusement rassuré tout le monde sur l’essentiel au travers d’une série d’arrêts (3), après avis (4), et bien que tout ne soit pas encore réglé, en jugeant qu’une communication non simultanée des pièces ne génère pas l’irrecevabilité des conclusions notifiées dans le délai.

En l’espèce, tout a été régularisé dans les délais des articles 908 à 910. Il n’y a pas eu de problématique avec l’article 906.

Dans le souci d’asseoir une autorité de la parole donnée, ou plutôt du silence donné, à la demande formulée aux parties par le conseiller de la mise en état de fixer un calendrier de derniers échanges, la cour d’appel d’Aix-enProvence a coupé court en jugeant irrecevables des conclusions régularisées par l’appelant en réplique aux intimés, sans calendrier de fixé, et avant la clôture de l’instruction.

L’article 912 du Code de procédure civile, alinéa 2, dispose que le conseiller de la mise en état fixe la date de la clôture et celle des plaidoiries. Toutefois, si l’affaire nécessite de nouveaux échanges de conclusions, il en fixe le calendrier, après avoir recueilli l’avis des avocats. Le texte ne prévoit aucune sanction. Aucune irrecevabilité n’est donc textuellement encourue.

Une notification d’écritures alors que le conseiller de la mise en état ne l’estime pas utile ou sans qu’un calendrier ne fût fixé est-elle alors irrecevable, les fins de non-recevoir que sanctionne l’irrecevabilité n’étant pas limitativement énumérées (5) ?

La réponse de la Cour de cassation est nette : les parties peuvent conclure et communiquer des pièces, en invoquant de nouveaux moyens, jusqu’à la clôture de l’instruction. L’irrecevabilité jugée en appel a donc été balayée.

Cette solution rappelle un principe encore récemment posé par la Cour de cassation dans un arrêt (6), qui concernait l’irrecevabilité, prononcée à tort par un premier président de cour d’appel, d’un recours à l’encontre d’une ordonnance de taxation des honoraires d’un expert judiciaire : il n’y a pas lieu d’ajouter à ce que la loi ne prévoit pas.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient effectivement de préciser très clairement le principe selon lequel il résulte des textes applicables que le recours contre une décision du juge fixant la rémunération d’un expert est formé, dans le délai d’un mois, par la remise ou l’envoi au greffe de la cour d’appel d’une note exposant les motifs, une lettre simple suffisant pour former ce recours, la loi ne prévoyant pas l’envoi sous la forme recommandée avec demande d’avis de réception.

Dans cette mouvance jurisprudentielle, le plaideur peut commencer à se rassurer en se disant qu’en dehors des cas de caducité et d’irrecevabilité prévus aux articles 908 à 911, il ne saurait y avoir de caducité ou d’irrecevabilité prononcée sur le fondement des autres textes de la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel, dès lors que ces textes ne prévoient pas de telles sanctions.

II — La clôture de l’instruction se suffit-elle comme butoir au-delà des délais légaux de notification et de communication ?

A — Problématique et a priori de l’arrêt commenté

L’ordonnance de clôture marque la fin de l’instruction, de sorte qu’il n’est plus possible de régulariser des conclusions et/ou de communiquer des pièces après, sauf exceptions de droit commun.

Comme cela a été vu supra, aucun texte n’interdit littéralement la notification de conclusions et/ou la communication de pièces à la veille de l’ordonnance de clôture, voire le jour même.

L’arrêt du 4 juin 2015 commenté n’émet aucune réserve : « […] les parties peuvent, jusqu’à la clôture de l’instruction, invoquer de nouveaux moyens et conclure à nouveau […] »

L’article 563 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6716H7U) dispose que pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

Les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ses prétentions est fondée (C. proc. civ., art. 954, alinéa 1 N° Lexbase : L0386IGE). Les délais couperets impartis à l’appelant et à l’intimé semblent pourtant militer pour une concentration des moyens et des prétentions dès les premiers jeux d’écritures, car au-delà, l’évolution pourrait sembler ne pouvoir s’envisager que dans la limite des dispositions de l’article 912, alinéa 2 du Code de procédure civile. En l’absence de nécessité de nouveaux échanges, ou si aucun calendrier n’est fixé postérieurement aux échanges d’origine encadrés par les délais légaux, des moyens nouveaux ne paraissent donc pas se justifier sans autorisation du conseiller de la mise en état. L’arrêt du 4 juin 2015 semble poser une solution radicalement inverse en laissant, a priori, une liberté totale d’échanges jusqu’à la clôture de l’instruction. Une telle conclusion serait bien hâtive.

B — Une solution nécessairement conforme aux principes directeurs du procès

La jurisprudence s’est appuyée sur l’article 15 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1132H4P) pour fixer un cadre temporel aux échanges des parties, en écartant des débats les pièces ou conclusions tardives à savoir, en procédure écrite, les conclusions et productions tardives par rapport à la clôture de l’instruction et, en procédure orale, les communications tardives de pièces par rapport aux débats.

L’article 15 du Code de procédure civile constitue l’un des principes directeurs du procès et permet ainsi un encadrement temporel des moyens des parties : « Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense ».

Le principe de loyauté procédurale permet également d’encadrer les moyens des parties, surtout si elles n’entendent pas voir fixé un calendrier procédural au-delà des premiers échanges encadrés par les textes.

N’y aurait-il pas une contradiction au détriment d’autrui à conclure la veille de la clôture pour une partie qui a, en s’abstenant de demander quelque délai que ce soit au conseiller de la mise en état, laissé croire à l’autre partie qu’elle ne conclurait pas d’avantage ?

La théorie de l’estoppel est bien séduisante pour tenter de soulever une irrecevabilité, mais comme nouvelle fin de non-recevoir, elle se dessine dans un régime jurisprudentiel très restrictif, alors ne laissons pas le plaideur se bercer par l’illusion…(8) La loyauté procédurale est aussi accrêtée par l’article 15 précité et est un élément phare du rapport « Magendie » : les nouvelles conclusions d’une partie ne sont pas exclues « lorsque le non-respect du principe de concentration ne provient pas du comportement déloyal ou négligent du plaideur, par exemple si une partie invoque un moyen de droit nouveau lié à une réforme législative ou communique une pièce jusque-là détenue par un tiers ».

Les textes du Code de procédure civile de la section relative à la procédure devant la cour d’appel avec représentation obligatoire ne proscrivent pas tout nouveau moyen, voire toute nouvelle prétention. Ces textes ne sont, par ailleurs, pas aussi restrictifs que les cas prévus par le rapport « Magendie ».

Dans le respect du contradictoire et de la loyauté procédurale, il est donc possible de faire évoluer les écritures sans forcément obtenir la fixation d’un calendrier procédural lorsqu’il est nécessaire de répliquer aux conclusions d’un adversaire, ce qui peut conduire à présenter de nouveaux moyens, voire de nouvelles prétentions destinées à répondre aux conclusions adverses.

C’est le respect du principe de la contradiction, tout comme le respect du droit à voir sa cause entendue. Interdire une telle évolution dans les écritures serait porter atteinte aux grands principes précités.

Rappelons également qu’une partie peut souhaiter se défendre en présentant des demandes reconventionnelles, qui sont, en effet, recevables en appel (C. proc. civ., art. 567 N° Lexbase : L6720H7Z), sous la seule condition de se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant (C. proc. civ., art. 70 N° Lexbase : L1285H4D).

Alors ces évidences devaient-elles nécessairement être rappelées dans l’arrêt rendu le 4 juin 2015 par la deuxième chambre civile ?

Si cette décision n’a pas assorti de réserves le principe d’une liberté d’échanges jusqu’à la clôture de l’instruction, ce n’est pas pour autant que les principes directeurs du procès, que la Haute cour ne manque pas de rappeler lorsqu’il leur est porté atteinte, sont mis au ban.

 


 

(1) Cass. civ. 2, 16 octobre 2014, n˚ 13-22.088, F-P+B (N° Lexbase : A6522MY9).

(2 ) Ass. plén., 3 avril 1987, n˚ 86-11.536 (N° Lexbase : A6848AAU), D., 1988, somm., 122, obs. Julien.

(3) Cass. civ. 2, 30 janvier 2014, n˚ 12-24.145, FS-P+B (N° Lexbase : A4197MDS), JCP éd. G, 2014, 297 ; Ass. plén., 5 décembre 2014, n˚ 13-19.674, P+B+R+I (N° Lexbase : A8234M4Q).

(4) Cass. avis, 25 juin 2012, n˚ 1 200 005 (N° Lexbase : A8822IPG).

(5) Cass. mixte, 14 février 2003, n˚ 00-19.423 (N° Lexbase : A1830A7W), Bull.civ., n˚1.

(6) Cass. civ. 2, 21 mai 2015, n˚ 14-18.767, F-P+B (N° Lexbase : A5413NIC).

(7) C. proc. civ., art. 783 (N° Lexbase : L7021H78) et 784 (N° Lexbase : L7022H79).

(8) Nos obs. in L’estoppel ou l’accrétion d’une loyauté processuelle consacrée, Gaz. Pal., n˚ 20 à 22 éd. prof., 20 au 22 janvier 2013.

(9) J. — C. Magendie, Célérité et qualité de la justice devant la cour d’appel, Rapport au Garde des Sceaux, ministre de la Justice — La documentation française, 2008, p. 51.