Lexbase Hebdo édition professions n˚207 du 8 janvier 2016

N° Lexbase : N0597BWZ

Réf. : Cass. civ. 2, 10 décembre 2015, n˚ 14-25.892, F-P+B+I (N° Lexbase : A9029NY3)

Les problèmes liés à la prescription du recouvrement des honoraires de l’avocat n’ont pas manqué de fleurir depuis la réforme du 17 juin 2008 relative à la prescription civile (loi n˚ 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I). La deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient, le 10 décembre 2015, de rendre un nouvel arrêt en la matière reprenant un principe nettement clarifié en mars 2015, s’agissant du délai applicable au client personne physique qui a agi à des fins n’entrant pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale : le délai de deux ans du droit de la consommation se substitue au délai de droit commun de 5 ans. L’arrêt commenté, au-delà de ce postulat rappelé, tranche le principe du point de départ de ce délai de prescription et de sa non interruption par l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’accusé de réception, ce dernier point n’étant pas surprenant.

MM. X, Z et A ont confié à Me Y, avocat, la défense de leurs intérêts dans le cadre d’un litige les opposant à leur employeur. A la suite d’un différend sur le paiement de ses honoraires, l’avocat a saisi le Bâtonnier de son Ordre d’une demande de fixation de ceux-ci.

Les clients de l’avocat furent condamnés et le premier président de la cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 27 août 2014, n˚ 13/04 143 N° Lexbase : A9028MUW), saisi de l’affaire en recours contre l’ordonnance de taxation initiale, jugea recevable la demande de l’avocat, énonçant que la lettre recommandée avec accusé de réception, adressée par celui-ci à ses clients pour obtenir le paiement de ses honoraires, était interruptive de prescription.

La décision d’appel fût cassée.

La deuxième chambre civile indiqua clairement que le premier président, qui n’a pas recherché, comme il y était invité, si la demande en fixation de ses honoraires, formée par l’avocat, l’avait été dans le délai de deux années à compter de la fin de sa mission, lequel ne pouvait avoir été interrompu par l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’accusé de réception, a privé sa décision de base légale.

Si le délai de prescription issu du Code de la consommation est applicable (I), son point de départ et les causes de son interruption résultent des règles posées par le Code civil (II).

I — Le délai applicable

L’article préliminaire du Code de la consommation (N° Lexbase : L7583IZU), créé par la loi du 17 mars 2014, relative à la consommation précitée (loi n˚ 2014-344, art. 3), a donné pour la première fois une définition textuelle du consommateur : « Au sens du présent code, est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ».

L’article L. 137-2 du même code (N° Lexbase : L7231IA3) pose comme principe que : « L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ».

Dans deux arrêts récents rendus le même jour (1), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est venue poser très clairement le principe selon lequel, lorsqu’un client, personne physique, a eu recours aux services d’un avocat à des fins n’entrant pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, ou libérale, la prescription de deux ans prévue par le Code de la consommation, est applicable aux honoraires de l’avocat.

A l’origine de la première décision, un avocat avait demandé à l’un de ses clients de lui régler ses honoraires, après qu’une action fût engagée contre une banque en 2008. Le client avait refusé de payer et l’avocat avait alors saisi, en 2012, le Bâtonnier de son Ordre d’une demande en fixation de ses honoraires. Une ordonnance, rendue par le premier président de la cour d’appel de Lyon, avait condamné le client à régler les honoraires demandés. Selon l’ordonnance rendue, la prescription de deux ans prévue par le Code de la consommation n’était pas applicable aux honoraires de l’avocat, « lesquels bénéficient de la prescription quinquennale ». La deuxième chambre civile cassa l’ordonnance pour défaut de base légale. La cour d’appel aurait en effet du rechercher, pour juger ainsi, si le client avait eu recours aux services de l’avocat à des fins « entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ».

Dans la seconde décision, rendue sur renvoi après cassation, une personne avait confié la défense de ses intérêts à une société d’avocats, pour de nombreuses instances entre 1999 et 2008. A la suite d’un litige relatif à la fixation des honoraires, l’affaire était remontée, une nouvelle fois, devant la Cour de cassation énonçant, cette fois-ci dans un arrêt de rejet (la prescription de deux ans avait été retenue par l’ordonnance attaquée), sans la moindre ambiguïté que la demande d’un avocat en fixation de ses honoraires dirigée contre une personne physique ayant eu recours à ses services à des fins n’entrant pas dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale est soumise à la prescription biennale de l’article L.137-2 du Code de la consommation.

Les juges du fond furent partagés quant à l’application de cette prescription spéciale à la procédure de taxation des honoraires de l’avocat (2).

L’hésitation n’est désormais plus permise tant les principes posés l’ont clairement été.

La deuxième chambre civile réaffirma le principe dans un arrêt rendu le 10 septembre 2015 (3).

Cette solution suit une jurisprudence déjà rendue dans d’autres domaines de prestations de services. La Cour de cassation a, plusieurs fois, étendu son champ d’application aux crédits immobiliers consentis à des consommateurs par des organismes financiers comme aux contrats de fourniture d’eau également passés avec des consommateurs (4).

Les dispositions de l’article L. 137-2 du Code de la consommation sont donc d’application générale dans les rapports entre un professionnel et un consommateur, tel que défini par l’article préliminaire du Code de la consommation.

II — Le court de la prescription de l’action en recouvrement des honoraires de l’avocat

L’arrêt commenté vise, au-delà de l’article L. 137-2 du Code de la consommation, les articles 2240 (N° Lexbase : L7225IAT), 2241 (N° Lexbase : L7181IA9) et 2244 ([LXB=L4838IRM ]) du Code civil, tels que réformés par la loi n˚ 2008-561 du 17 juin 2008.

Les arrêts rendus en mars et septembre 2015, par la deuxième chambre civile (5), n’ont pas pris position sur la question du point de départ du délai de prescription.

La combinaison des articles 2224 (N° Lexbase : L7184IAC) et 2225 (N° Lexbase : L7183IAB) du Code civil (6) tend à retenir comme point de départ, bien que l’article 2225 ne concerne que la prescription des actions en responsabilité engagées à l’encontre des avocats, la date à laquelle la mission de l’avocat prend fin.

C’est la solution retenue par l’arrêt du 10 décembre 2015 qui rappelle que le premier président dont l’ordonnance a été cassée devait rechercher si la demande en fixation de ses honoraires par l’avocat l’avait été dans le délai de deux années à compter de la fin de sa mission.

Il ne faudra pas amalgamer à cette solution l’assurance protection juridique car, dans cette matière, lorsque l’assureur a accepté sa garantie dans les limites des prévisions contractuelles, le point de départ de la prescription de l’action de l’assuré court du jour où il a eu connaissance des éléments lui permettant de réclamer l’indemnité promise.

Une société ne peut donc demander le paiement des frais de l’avocat missionné à son assureur protection juridique, dans le respect des barèmes de la garantie, au-delà des deux années qui courent à compter de l’émission de la facture (7).

S’agissant des causes d’interruption de la prescription, les articles 2240, 2241 et 2242 (N° Lexbase : L7180IA8) du Code civil ne prévoient nullement l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’accusé de réception, laquelle ne peut suppléer une demande en justice, ce à la différence du droit des assurances (C. assur., art. L. 114-2 N° Lexbase : L0076AA3) ou de l’interruption de la prescription quadriennale auprès de l’autorité administrative (8), domaines pour lesquels l’écrit recommandé avec demande d’accusé de réception est interruptif.

L’avocat se doit d’être vigilant dans le recouvrement de ses honoraires : deux années passent vite. Il n’aura d’autre choix que celui d’engager au plus vite une action en justice en cas de non-paiement.

 


 

(1) Cass. civ. 2, 26 mars 2015, deux arrêts, n˚ 14-15.013 (N° Lexbase : A4644NEQ), et n˚ 14-11.599 (N° Lexbase : A4643NEP), FS-P+B+R+I.

(2) Cf. notamment : CA Nîmes, 5 février 2015, n˚ 14/01 481 (N° Lexbase : A0619NBK) — Contra : CA Aix-enProvence, 13 janvier 2015, n˚ 14/01 985 (N° Lexbase : A1817M98).

(3) Cass. civ. 2, 10 septembre 2015, n˚ 14-24.301, F-D ([LXB=A9432NNN ]).

(4) Cass. civ. 1, 28 novembre 2012, n˚ 11-26.508, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6412IXR), RTDCom., 2012 ; Cass. civ. 1, 9 avril 2014, n˚ 12-27.614, F-D (N° Lexbase : A0974MKB) ; Cass. civ. 1, 10 juillet 2014, n˚ 13-15.511, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3176MU8), RTDCom., 2014-675.

(5) Cf. notes en bas de page n˚ 1 et 3 supra.

(6) C. civ., art. 2224 : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». C. civ., art. 2225 : « L’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission ».

(7) Cass. civ. 2, 6 mars 2014, n˚ 13-11.642, F-D (N° Lexbase : A4055MGB).

(8) Cass. civ. 1, 28 mai 2008, n˚ 06 -21.042, FS-P+B (N° Lexbase : A7811D8S), Bull. civ., I, n˚ 156.