Lexbase Hebdo édition privée n˚575 du 19 juin 2014

Réf. : Cass. civ. 1, 14 mai 2014, n˚ 13-14.953, F-P+B (N° Lexbase : A5745MLD)

L’engagement d’une voie de recours se murit à l’avance… Le début de l’arrêt commenté, en date du 14 mai 2014, donne le ton immédiatement lorsqu’il rappelle : « Sur la recevabilité du pourvoi, relevée d’office après avertissement donné aux parties dans les formes de l’article 1015 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5884IA8) ».

 

Le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bonneville avait prononcé le divorce des époux Z-Y. Un notaire avait été désigné pour procéder à la liquidation et au partage de leur régime matrimonial.

Madame Y assigna Monsieur Z devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d’Albertville pour faire procéder à la liquidation et au partage des biens dépendant du régime matrimonial après rapport du notaire.

Monsieur Z souleva une exception d’incompétence territoriale devant le juge de la mise en état au profit du tribunal de grande instance de Bonneville.

Le juge rejeta cette exception. Monsieur Z forma contredit et la cour, estimant être saisie à tort par la voie du contredit, statua néanmoins selon les règles applicables à l’appel de la décision ainsi rendue par le juge de la mise en état.

Monsieur Z régularisa un pourvoi en cassation alors que l’arrêt s’était borné à confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état sur le seul problème de compétence posé.

Inéluctablement, la première chambre civile déclara ce pourvoi irrecevable.

La voie de recours à l’encontre des ordonnances du juge de la mise en état n’a pas toujours été d’une limpide clarté compte tenu des textes qui se sont succédés dans la matière.

L’erreur n’est cependant pas grave lorsqu’elle va dans le sens du contredit formé au détriment de l’appel. L’inverse peut, en revanche, couper court à tout avenir procédural.

Les principes méritent donc d’être rappelés s’agissant du cas spécifique d’une décision rendue par le juge de la mise en état, ce que la procédure à l’origine de l’arrêt commenté suggère (1).

Le pourvoi ne pouvait, en l’espèce, qu’être irrecevable puisque la cour n’avait pas usé de son pouvoir d’évocation et que le juge de la mise en état ne pouvait statuer sur le fond (2).

 

I — La spécificité du recours à l’encontre des ordonnances du juge de la mise en état statuant sur une exception d’incompétence

A partir du moment où le juge de la mise en état est désigné, jusqu’à son dessaisissement, lui seul est compétent pour ordonner les mesures et statuer sur les domaines visés à l’article 771 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8431IRP), à l’exclusion de toute autre formation du tribunal.

Font partie du champ de compétence exclusive du juge de la mise en état, les exceptions de procédure (C. pr. civ., art. 771, 1˚), lesquelles comprennent les exceptions d’incompétence (Section première du Chapitre II du Titre V du Livre premier du Code de procédure civile).

Ce principe d’exclusivité ne tient que pour autant que le juge de la mise en état est saisi.

En effet, avant sa saisine ou après son dessaisissement, la formation de fond du tribunal a compétence.

Le problème ne s’étant pas posé dans cette affaire, il ne sera pas consacré de développement spécifique aux difficultés suscitées par la rédaction du texte qui sanctionne le non-respect de cette règle de compétence par l’irrecevabilité (1), ce qui suggère plus une problématique de pouvoir du juge plutôt qu’une problématique de compétence entre formations du tribunal de grande instance.

Faute de voir précisée dans le texte de l’article 771 la sanction d’irrecevabilité, le plaideur aurait, en effet, nécessairement eu à se poser la question, en cas de non-respect de ces règles de « compétence », de savoir si la voie de recours contre une ordonnance du juge de la mise en état ou un jugement de la formation de fond serait le contredit ou l’appel…

Les dispositions du décret n˚ 98-1231 du 28 décembre 1998, modifiant le Code de l’organisation judiciaire et le nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2924AI7) prévoyaient l’appel comme voie de recours à l’encontre des décisions du juge de la mise en état statuant sur une exception d’incompétence.

Le décret n˚ 2004-836 du 20 août 2004, portant modification de la procédure civile (N° Lexbase : L0896GTD), remplaça l’appel par le contredit, puis le décret n˚ 2005-1678 du 28 décembre 2005, relatif à la procédure civile, à certaines procédures d’exécution et à la procédure de changement de nom (N° Lexbase : L3298HEU), en vigueur depuis le 1er mars 2006, rétablit l’appel comme voie de recours contre les ordonnances du juge de la mise en état statuant sur une exception de procédure, donc d’incompétence (C. pr. civ., art. 776 2˚ actuel N° Lexbase : L7010H7R).

Le lecteur imagine aisément le parcours de combattant que le plaideur dut suivre face à de tels changements, notamment au regard des procédures en cours…

Interjeter appel au lieu de former un contredit ne permet plus aucune régularisation dès lors que le délai pour former contredit a expiré : en l’absence de disposition symétrique de celle qu’édicte l’article 91 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0379IT9), l’appel interjeté dans le cas où le contredit se fût imposé ne peut qu’être déclaré irrecevable (2), ce moyen constituant une fin de non-recevoir et non une exception de procédure (3).

L’erreur consistant à former un contredit à la place d’interjeter appel ne présente pas de danger majeur puisque l’article 91 du Code de procédure civile dispose que « lorsque la cour estime que la décision qui lui est déférée par la voie du contredit devait l’être par celle de l’appel, elle n’en demeure pas moins saisie ».

C’est ce que rappelle très clairement la Cour de cassation dans sa décision du 14 mai 2014.

N’ayant pas évoqué le fond, comme elle en avait pourtant la faculté en vertu des dispositions de l’article 89 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1333H47), la cour d’appel dont l’arrêt a été attaqué, n’avait statué que sur le problème de compétence tranché en première instance par l’ordonnance du juge de la mise en état.

Avant le 1er mars 2006, ces ordonnances n’avaient pas autorité de la chose jugée.

Elles l’ont depuis (C. pr. civ., art. 775 nouveau N° Lexbase : L7005H7L).

Au-delà des principes que la première chambre civile rappelle avec fermeté dans l’arrêt commenté, lesquels ne suscitent pas de discussion en l’état actuel des textes, la solution peut souffrir certaines critiques.

 

II — L’irrecevabilité du pourvoi

La solution donnée par la première chambre civile est claire à la lecture des textes qu’elle rappelle dans le visa de son arrêt.

Si les jugements en dernier ressort qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent être frappés de pourvoi en cassation comme les jugements qui tranchent en dernier ressort tout le principal (4), il n’en est pas de même de ceux en dernier ressort qui statuent sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident : pour que le pourvoi formé à leur encontre soit recevable, encore faut-il que ces derniers jugements aient mis fin à l’instance (5), sinon ils ne peuvent être frappés de pourvoi indépendamment des jugements sur le fond que dans les cas spécifiés par la loi (6).

Bien que cette solution soit, en droit, conforme aux textes applicables et à la jurisprudence déjà rendue sur ce point précis (7) elle pose, cependant, le problème de la cohabitation entre l’autorité de la chose jugée qui s’attache désormais à l’ordonnance du juge de la mise en état qui a statué sur une exception d’incompétence (C. pr. civ., art. 775) et les dispositions des articles 605 (N° Lexbase : L6762H7L), 606 (N° Lexbase : L6763H7M), 607 (N° Lexbase : L6764H7N), et 608 (N° Lexbase : L6765H7P) du Code de procédure civile.

Dès lors que le juge de la mise en état était saisi, ce qui fût le cas dans l’affaire commentée, aucune autre formation du tribunal n’avait compétence pour trancher cette exception, et donc la possibilité de joindre l’incident au fond, puisque le juge de la mise en état est saisi jusqu’à l’ouverture des débats (plaidoiries).

Compte tenu de l’exclusivité de compétence posée par l’article 771 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8431IRP), de la voie de recours qui est l’appel depuis le décret n˚ 2005-1678 du 28 décembre 2005, en vigueur depuis le 1er mars 2006 (C. pr. civ., art. 776 nouveau), aucun recours en cassation ne peut être recevable à l’encontre d’un arrêt d’appel ayant statué sur une ordonnance du juge de la mise en état ayant lui-même statué sur une exception d’incompétence.

Si l’on prend le cas d’une exception d’incompétence territoriale, sur le plan national, dès lors qu’une telle exception prospère, l’ordonnance qui l’accueille revêt l’autorité de la chose jugée, mais ne met pas pour autant fin à l’instance, l’article 97 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0435ITB) prévoyant la transmission du dossier par le secrétariat-greffe à la juridiction désignée (8).

Le dossier ne sera pas transmis en cas de voie de recours à l’encontre de cette décision.

S’agissant d’une exception de procédure ne mettant pas fin à l’instance, ne rendant ainsi pas recevable un pourvoi en cassation à l’encontre d’un arrêt de la cour d’appel ayant statué sur cette exception, il faudra attendre une décision susceptible de pourvoi afin que la Cour de cassation examine également ce problème de compétence.

Il faudra donc attendre le jugement sur le fond et l’éventuel arrêt d’appel à l’encontre de ce jugement, pour que la décision en dernier ressort puisse faire l’objet d’un pourvoi avec le problème de compétence attaqué et jugé tant par l’ordonnance du juge de la mise en état que par la cour saisie d’un appel sur ce seul point…

Quelle célérité, surtout dans l’hypothèse où la Cour de cassation viendrait à casser l’arrêt d’appel ayant statué sur le problème de compétence posé : faudrait-il alors tout recommencer devant la bonne juridiction ? Se poserait alors le problème de la prescription…

Dès lors, l’arrêt d’appel rendu sur ordonnance du juge de la mise en état ayant tranché un problème de compétence, laquelle a autorité de la chose jugée, ne devrait-il pas intégrer les décisions susceptibles de faire l’objet d’un pourvoi en cassation au regard des dispositions des articles 607 (N° Lexbase : L6764H7N) et 608 (N° Lexbase : L6765H7P) du Code de procédure civile, sauf à ôter à la notion d’autorité de la chose jugée l’intérêt et la portée qu’on voulait vraisemblablement lui attribuer lors de la réforme du 28 décembre 2005.

Une harmonisation, voire un toilettage des textes en rapport avec la recevabilité d’un pourvoi en cassation et les dispositions des articles 771, 775 et 776 du Code de procédure civile permettrait d’éviter de telles complications procédurales longues et coûteuses pour le justiciable, d’autant que la hausse du budget de la Justice ne semble pas au goût du jour…

 


 

(1) L’article 771 1. in fine du Code de procédure civile dispose en effet : « …les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ».

(2) Cass. civ. 1, 18 janvier 1983, n˚ 81-16.240 (N° Lexbase : A9506CHK), Gaz. Pal., 1983, 1, Pan, 174.

(3) Cass. civ. 2, 14 mars 1979, n˚ 77-12.462 (N° Lexbase : A4109CHN), Bull. civ. II, n˚ 83.

(4) C. pr. civ., art. 606.

(5) C. pr. civ., art. 607.

(6) C. pr. civ., art. 608.

(7) « Vu les articles 606 , 607 et 608 du nouveau Code de procédure civile ; Attendu que, sauf dans les cas spécifiés par la loi, les jugements en dernier ressort qui ne mettent pas fin à l’instance ne peuvent être frappés de pourvoi en cassation indépendamment des jugements sur le fond que s’ils tranchent dans leur dispositif tout ou partie du principal ; Attendu que l’arrêt attaqué se borne à confirmer une ordonnance du juge de la mise en état ayant accordé des provisions ; que cette décision n’a pas mis fin à l’instance engagée devant le tribunal, et que dès lors, le pourvoi en cassation n’est pas recevable » : Ass. plén., 5 décembre 1997, n˚ 95-17.858 (N° Lexbase : A0622ACZ).

(8) En pareille hypothèse, l’instance, à défaut de contredit ou d’appel, se poursuit devant le juge ainsi désigné sans qu’il y ait lieu à une nouvelle assignation : Cass. civ. 2, 16 avril 1982, n˚ 81-11.244 (N° Lexbase : A7039CH8), Bull. civ. II, n˚ 54 ; Cass. civ. 2, 29 mars 1995, n˚ 93-16.364 (N° Lexbase : A7858ABN), ibid, n˚ 111.

 

Décision

Cass. civ. 1, 14 mai 2014, n˚ 13-14.953, F-P+B (N° Lexbase : A5745MLD). Pourvoi irrecevable (CA Chambéry, 29 janvier 2013, n˚ 12/01 802 N° Lexbase : A0919KST).

Lien base : (N° Lexbase : E0548EUT).