Lexbase Hebdo édition privée n˚597 du 15 janvier 2015

Réf. : Ass. plén., 5 décembre 2014, deux arrêts, n˚ 13-27.501 (N° Lexbase : A8235M4R) et n˚ 13-19.674, P+B+R+I (N° Lexbase : A8234M4Q)

Par deux décisions, rendues le 5 décembre 2014 (Ass. plén., 5 décembre 2014, deux arrêts, n˚ 13-27.501 et n˚ 13-19.674, P+B+R+I), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation retient, d’une part, que c’est à tort qu’une cour d’appel a refusé d’écarter des débats les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables ; d’autre part, elle précise que les pièces communiquées quelques jours après la notification des conclusions au soutien desquelles elles étaient produites n’ont pas à être écartées des débats dès lors que l’intimé, avant la clôture de l’instruction, a été en mesure de répondre à ces pièces.

La jurisprudence fût, et le sera encore, attendue dans le cadre de l’application des nouvelles dispositions textuelles en matière de procédure d’appel avec représentation obligatoire.

Les deux arrêts rendus le même jour par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 5 décembre 2014 en donnent une nouvelle confirmation. Il s’agissait de l’épineux sujet de l’exigence textuelle de la simultanéité de la notification des conclusions et de la communication des pièces.

Ce sujet a nourri de nombreuses problématiques.

La saisine de l’Assemblée plénière est révélatrice des questions de principe posées. Cette saisine n’a pas lieu que dans les cas de résistance d’une juridiction de renvoi à la doctrine de l’arrêt de cassation. Afin d’abréger ce long processus, la loi du 3 janvier 1979 a voulu en effet que l’Assemblée plénière puisse être saisie et imposer sa doctrine juridique à la juridiction de renvoi dès la première cassation. Ainsi l’autorité de l’arrêt de cassation dépend de la décision de saisir l’Assemblée plénière, qui appartient soit au premier président, soit à la chambre saisie, soit au procureur général. Il faut alors que l’affaire pose une question de principe.

C’était bien le cas dans les deux affaires jugées en Assemblée plénière le 5 décembre 2014.

I — Des pièces communiquées au soutien de conclusions irrecevables doivent-elles être écartées des dé- bats ?

La réponse donnée est indirectement affirmative, car la cassation n’a pas été encourue dès lors qu’elle ne fût pas fondée sur les pièces en cause.

Pour autant, l’Assemblée plénière rappela avec l’autorité qui la caractérise, que ce fût néanmoins « à tort que la cour d’appel a refusé d’écarter des débats les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables ».

L’affaire fût renvoyée en Assemblée plénière suivant ordonnance de Monsieur le premier Président de la Cour de cassation. Dans le cadre d’un appel interjeté par Mme Y devant la cour d’appel de Dijon, le conseiller de la mise en état, par ordonnance devenue définitive, donc non attaquée par la voie d’un déféré (procédure qui fut en l’espèce possible car prévue par l’article 916, alinéa 2, du Code de procédure civile N° Lexbase : L0170IPY), a déclaré les conclusions de M. X, intimé, irrecevables comme tardives. Mme Y a alors saisi la cour d’une demande tendant à ce que soient écartées des débats les pièces qui avaient été communiquées et produites par l’intimé lors de la notification de ses conclusions. La cour rejeta cette demande. Un pourvoi fut formé mais non fondé sur les pièces en cause. Le pourvoi fut donc rejeté. L’Assemblée plénière prit néanmoins le soin de poser une incise, dont le principe qui en résulte, rappelé supra, ne peut laisser indifférentes les juridictions de fond qui auront, à l’avenir, à se prononcer sur ce problème de droit.

L’article 909 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0163IPQ) scelle comme couperet que l’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant, prévues à l’article 908 (N° Lexbase : L0162IPP), pour conclure et former, le cas échéant, appel incident.

En l’espèce, le retard de l’intimé dans la régularisation de ses conclusions lui a valu leur irrecevabilité.

La solution de l’Assemblée plénière se justifie pleinement : à quoi serviraient des pièces maintenues dans le cadre d’une instance pour laquelle la procédure est écrite, sans que des prétentions puissent être examinées ? Les conclusions qui en seraient le support formel exigé (il convient de rappeler que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions — C. pr. civ., art. 954, alinéa 2 N° Lexbase : L0386IGE) ont été définitivement jugées irrecevables.

Les pièces qui seraient le soutien de prétentions qui ont disparu de par leur irrecevabilité ne peuvent à l’évidence avoir la moindre portée. Si le pourvoi avait été fondé sur ces pièces, l’arrêt de la cour d’appel de Dijon fût alors inéluctablement cassé.

II — Les pièces communiquées postérieurement à la notification des conclusions qu’elles soutiennent, doivent-elles être écartées des débats ?

Cela supposât déjà de répondre à une question induite à titre liminaire : de telles conclusions sans communication simultanée des pièces sont-elles recevables ?

La réponse à la question liminaire est négative puisque la réponse à la question principale est : dès lors que l’intimé avait été en mesure, avant la clôture de l’instruction, de répondre à de telles pièces, « la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu de les écarter ». Les conclusions sont donc recevables et les pièces communiquées dans le respect du contradictoire suffisamment de temps avant la clôture de l’instruction ne sont pas écartées des débats.

L’Assemblée plénière finalise un principe processuel dont le cheminement n’a pas été sans tourments. L’article 908 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0162IPP) dispose : « à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour conclure ».

Contrairement à la nullité, la caducité prive d’effet un acte qui a déjà été régulièrement formé. L’acte devenu caduc perd ses effets. C’est ainsi que l’assignation jugée caduque a été considérée comme non interruptive du délai de prescription (1).

L’article 385 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2273H4X) dispose par ailleurs : « l’instance s’éteint à titre principal par l’effet de la péremption, du désistement d’instance ou de la caducité de la citation. Dans ces cas, la constatation de l’extinction de l’instance et du dessaisissement de la juridiction ne met pas obstacle à l’introduction d’une nouvelle instance, si l’action n’est pas éteinte par ailleurs ».

La caducité de la déclaration d’appel s’inscrit dans l’une des causes de l’extinction de l’instance d’appel. Il est alors aisé de comprendre l’intérêt de l’intimé, vainqueur en première instance, à utiliser toutes les fins lui permettant de faire éteindre l’appel de son adversaire appelant. Le but est effectivement de priver au moment opportun l’appelant de tout nouvel appel dès lors que le délai a expiré parce que la décision de première instance a été signifiée depuis plus d’un mois.

L’article 906 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0367ITR) suggéra aux plaideurs intimés une ingénieuse idée.

Cet article dispose que « les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l’avocat de chacune des parties à celui de l’autre partie ». Des conclusions irrecevables, parce que les pièces n’auraient pas été communiquées simultanément, auraient pour conséquence le non-respect du délai prévu à l’article 908 ou celle de ne pas faire courir de délai à l’intimé pour conclure.

L’enjeu était effectivement de taille.

La Cour de cassation a déjà pris position : les conclusions ne sont pas, en pareille hypothèse, irrecevables.

Selon avis du 25 juin 2012 (Cass. avis, 25 juin 2012, n˚ 1 200 005 [LXB=A8822IPG ]), elle a en effet indiqué que « doivent être écartées les pièces invoquées au soutien des prétentions, qui ne sont pas communiquées simultané- ment à la notification des conclusions ».

Dans un avis plus récent du 21 janvier 2013 (Cass. avis, 21 janvier 2013, n˚ 01 300 003P N° Lexbase : A8266I3K), la Cour de cassation a précisé que le conseiller de la mise en état n’est pas compétent pour écarter des débats les pièces invoquées au soutien des prétentions, qui ne sont pas communiquées simultanément à la notification des conclusions.

La sanction ne concerne que les pièces communiquées (en ce sens, CA Montpellier, 3 octobre 2012, n˚ 12/03 903 N° Lexbase : A9605ITW). La régularisation semble pouvoir se faire avec les dispositions de l’article 954, alinéa 3, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0386IGE) (conclusions récapitulatives), puisque les dernières conclusions doivent contenir un bordereau récapitulatif des pièces (C. pr. civ., art. 954, alinéa 1), la cour ne statuant que sur les dernières conclusions déposées (C. pr. civ., art. 954, alinéa 3, in fine).

Ainsi, comme la cour d’appel de Paris a pu l’admettre, l’appelant peut régulariser l’absence de communication de pièces avec les premières conclusions en communiquant ultérieurement les pièces avec les dernières conclusions (CA Paris, 22 novembre 2012, n˚ 11/04 473 N° Lexbase : A3455IXA).

L’Assemblée plénière conforte cette solution en allant même au-delà puisque les pièces communiquées postérieurement aux dernières écritures n’ont pas à être écartées des débats dès lors que la partie adverse a pu en prendre connaissance suffisamment de temps avant la clôture de l’instruction.

Enfin, l’exigence de simultanéité posée par l’article 906 a fait naître une difficulté supplémentaire liée au caractère obligatoire de la communication électronique des conclusions. Certes, les pièces ne rentrent pas dans le champ de la communication électronique obligatoire, puisque l’article 930-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0362ITL) impose la remise à la juridiction par voie électronique des seuls actes de procédure.

Les pièces peuvent être communiquées à la cour avec le dossier, quinze jours avant la date des plaidoiries (C. pr. civ., art. 912, alinéa 3 N° Lexbase : L0366ITQ). Cependant, si la communication doit être simultanée (C. pr. civ., art. 906), l’envoi électronique des conclusions aux avocats des autres parties impose l’envoi électronique des pièces, sauf à ne pas respecter la simultanéité requise par la lettre du texte.

Il convient de rappeler que les envois, remises et notifications mentionnés à l’article 748-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0378IG4) font l’objet d’un avis électronique de réception adressé par le destinataire, qui indique, le cas échéant, l’heure de celle-ci. Copie des conclusions est remise au greffe avec la justification de leur notification.

La notion de simultanéité employée commande donc le mode de notification : électronique ou par support papier. En termes de dématérialisation et de transmission, il est parfois impossible de transmettre des pièces dont le poids est trop conséquent en Mo.

La taille des pièces autorisées dans les envois via e-barreau est de 4 Mo, ce qui est vite atteint, notamment dans les dossiers comprenant des photos, des rapports, des marchés, des cahiers des charges et autres documents très volumineux. Le temps d’envoi de tels fichiers est par ailleurs considérable, impliquant des envois fractionnés.

La solution entérinée par l’Assemblée plénière dans ce deuxième arrêt du 5 décembre 2014 est donc des plus louables, d’autant qu’elle rappelle l’évident respect du contradictoire : que les pièces ne soient pas communiquées juste avant la clôture de l’instruction.

Il ne reste donc plus grand-chose, si ce n’est rien, de la simultanéité posée par l’article 906 du Code de procédure civile. Avec la nouvelle procédure d’appel, l’Assemblée plénière a encore de belles perspectives de saisine, car bien d’autres réponses à des questions de principe sont attendues…


(1) Ass. plén., 3 avril 1987, n˚ 86-11.536 (N° Lexbase : A6848AAU), D., 1988, somm., 122, obs. Julien.